L’eSport fera-t-il un jour prochain son entrée dans le décor olympique? Probable. L’organisation d’un sommet consacré aux sports électroniques, annoncé pour la fin du mois de juillet 2018 à Lausanne, confirme la tendance. Le CIO est censé y rencontrer les acteurs majeurs du milieu, dont les joueurs et les marques.
Mais la perspective de voir l’eSport pousser en grand la porte des Jeux de Paris en 2024 semble tenir du fantasme. Leopold Chung, le directeur des relations internationales et secrétaire général de la Fédération internationale d’eSport (IeSF), l’a révélé à FrancsJeux: le sport électronique pourrait être présent à Paris 2024, mais seulement en démonstration. Interview.
FrancsJeux: Le phénomène de l’eSport poursuit-il sa folle progression? Où en êtes-vous aujourd’hui en termes de pratique et de participation?
Leopold Chung: L’eSport se développe chaque jour. Il le fait avec une telle rapidité qu’il devient difficile pour nous de mesurer le phénomène. La pratique explose. Il nous revient, en qualité de fédération internationale, de l’entourer solidement, notamment en termes d’organisation et de gouvernance. La France, par exemple, s’est dotée d’une fédération nationale, France eSport. Elle est très proche des autorités sportives françaises. Actuellement, nous recensons au sein de l’IeSF 46 fédérations nationales. Vingt-neuf d’entre elles sont reconnues par leur comité national olympique ou leur ministère des Sports. Ces chiffes augmentent régulièrement tous les ans.
A combien s’élève aujourd’hui le nombre de joueurs dans le monde?
Deux milliards. En Corée du Sud, par exemple, le seul jeu League of Legends rassemble 3 millions de joueurs. En Chine, on estime à 200 millions le nombre de personnes qui pratiquent l’eSport.
Il est beaucoup question de votre entrée dans l’univers olympique. Intégrer le programme des Jeux est-il devenu votre priorité?
Bien sûr, nous voulons entrer dans l’univers olympique. Mais les Jeux ne constituent pas le but ultime. Nous cherchons surtout à construire des structures assez solides pour développer la pratique de l’eSport à long terme, notamment avec les fédérations nationales. Concernant les Jeux olympiques, nous discutons actuellement avec le CIO pour obtenir sa reconnaissance. Nous devons passer par toutes les étapes: être reconnu par GAISF et par le CIO. Nous sommes déjà signataires du code mondial antidopage de l’AMA.
Discutez-vous avec Paris 2024?
Oui. Nous discutons actuellement de façon très étroite avec la ville de Paris. La capitale française est en train de s’imposer comme une place forte de l’eSport. Nous aimerions être intégrés aux Jeux de Paris 2024 comme sport de démonstration, non pas comme une discipline à médailles. Pour cela, nous négocions avec la ville de Paris. Sa détermination est réelle, tout comme celle du comité d’organisation des Jeux en 2024. Lorsque nous serons d’accord, nous pourrons aller voir le CIO et parler d’une même voix.
Vous évoquez l’AMA et le code mondial antidopage. Où en êtes-vous sur ce dossier, souvent présenté comme décisif pour une éventuelle reconnaissance olympique?
Nous suivons les recommandations de l’AMA. Toutes nos compétitions officielles font l’objet de contrôles antidopage. Les produits interdits par l’AMA sont tous interdits dans nos épreuves. Nous voulons même aller plus loin. Par exemple, nous voulons intégrer tous les bêta-bloquants à la liste de nos produits interdits.
L’eSport a-t-il vraiment besoin des Jeux olympiques? Que voulez-vous en retirer?
Nous ne raisonnons pas en termes de bénéfices. Aujourd’hui, les joueurs d’eSport n’ont pas une formation et un parcours typiquement sportifs. Ils viennent d’un peu partout. Il leur manque tout ce qui fait d’un athlète de haut niveau une personne utile à la société: les valeurs du sport, le respect des règles… Intégrer le mouvement olympique nous aiderait à transmettre à nos joueurs une véritable culture sportive. A en faire des citoyens parfaitement intégrés à la société. Mais il existe une autre raison à notre volonté d’être reconnus comme un sport officiel par le mouvement olympique. A l’heure où le monde connaît sa 4ème révolution industrielle, celle des nouvelles technologies, la demande sociale est en train de changer. Désormais, le sport n’est plus seulement un moyen d’être en bonne condition physique. Il peut aussi contribuer à se familiariser avec les nouvelles technologies. Dans cette optique, l’eSport peut beaucoup apporter aux disciplines sportives plus traditionnelles.
Mais ne pensez-vous pas que le mouvement olympique, le CIO en particulier, a plus besoin de vous que vous avez besoin du mouvement olympique?
Je ne vois pas les choses ainsi. Nous avons besoin les uns des autres. L’une de nos missions, à l’IeSF, consiste à aider les fédérations internationales à s’adapter aux nouvelles technologies. Pour cela, nous avons déjà signé un certain nombre d’accords de coopération. Nous l’avons fait, par exemple, avec la Fédération internationale de tennis de table (ITTF). Avec elle, nous créons des passerelles entre le tennis de table traditionnel et sa version électronique. Pour le premier, il faut une table, un filet et des raquettes. Pour la seconde, un smartphone suffit. En travaillant avec l’ITTF, nous pouvons les aider à toucher un public plus large, une nouvelle cible de potentiels joueurs, pas forcément connaisseurs du tennis de table. Avec au bout du chemin, peut-être, la présence du tennis de table électronique aux Jeux olympiques.
Thomas Bach ne s’en est jamais caché: il n’est pas opposé à l’entrée de l’eSport dans l’univers olympique, mais il ne veut pas entendre parler des jeux violents et guerriers…
Je crois qu’il est important de bien distinguer les jeux vidéo et l’eSport. Les sports électroniques ont des règles, un code de conduite et un arbitre. Les jeux vidéo se pratiquent pour le plaisir. L’eSport évolue dans un environnement maîtrisé, avec un esprit de compétition. Bien sûr, certains jeux de l’eSport fonctionnent sur le principe de « tirer et tuer ». Mais leur objectif ne se réduit pas à cela. Il est avant tout de mettre en place une analyse tactique et stratégique de l’adversaire, pour décrocher la victoire. Le but n’est pas de tuer, mais de l’emporter.