FrancsJeux publie une chronique de Jean-Loup Chappelet, professeur à l’Université de Lausanne.
Les Jeux olympiques sont victimes de leur succès : ils sont devenus trop gigantesques. Les six candidats à la présidence du Comité international olympique (CIO) le reconnaissent tous dans leur manifeste de candidature : il est impératif de mieux maîtriser la taille et le coût des Jeux, tout en faisant en sorte qu’ils restent uniques pour les athlètes et les (télé-)spectateurs. L’actuel président du CIO – encore pour un mois – l’écrivait noir sur blanc dans son programme de campagne, il y a douze ans déjà. Mais les faits sont têtus. Les chiffres définitifs de Londres 2012 viennent de tomber : les Jeux ont encore grossi sous de nombreux paramètres (accréditation, transport, sécurité, sponsors, etc.). Leur coût s’établit à 10 milliards d’euros d’investissement (financé par le secteur public) et 2,8 milliards d’euros de fonctionnement (financé par les sponsors, spectateurs et réseaux de télévision), soit au total près de 13 milliards d’euros. Le ministère des finances russe annonce que le coût total des Jeux de Sotchi en 2014 sera de 38 milliards d’euros. Ces coûts et la complexité d’organisation font régulièrement baisser le nombre de villes et pays candidats (de 11 pour 2004 à 5 pour 2020).
Parallèlement, de plus en plus de sports veulent être inclus dans le programme des Jeux olympiques d’été pour bénéficier de leur médiatisation et participer à la redistribution de leurs revenus commerciaux par le CIO. Sept sports étaient présélectionnés par le CIO pour qu’un seul rejoigne les Jeux de 2020 : baseball-softball, escalade, karaté, roller sports, squash, wakeboard et wushu. Probablement aucun ne sera retenu afin de maintenir la lutte au programme olympique et ainsi respecter le quota artificiel de 28 sports aux Jeux d’été (fixé après Sydney 2000). De toute façon, ce n’est pas l’ajout d’un sport qui satisfera l’attente des nombreuses disciplines qui voudraient rejoindre les Jeux d’été. Par ailleurs, peu de sports peuvent rejoindre les Jeux d’hiver car il faudrait, selon la Charte olympique, qu’ils se pratiquent sur la neige ou sur la glace. On cite parfois l’escalade sur glace et les courses de chiens de traîneaux. Les Jeux d’hiver ont donc grossi essentiellement par le rajout de nombreuses épreuves de ski et de snowboard sous toutes leurs formes.
Le futur président du CIO se voit donc confronté à un dilemme : accepter plus de sports, disciplines et épreuves aux Jeux d’été au risque de les rendre encore plus gigantesques, coûteux et risqués à organiser ; ou bien mécontenter la plupart des sports qui veulent devenir olympiques au risque de les voir créer des compétitions concurrentes et contester le rôle de leader du sport mondial que souhaite jouer le CIO. Cette dernière possibilité n’est pas une vue de l’esprit quand on constate le développement depuis une dizaine d’années de toutes sortes de compétitions multisports comme les Jeux continentaux ou régionaux (y compris européens dès 2015), les Jeux mondiaux (qui réunissent certains sports non olympiques), les jeux catégoriels (universitaires, militaires, des écoliers, etc.), les jeux thématiques (Combat Games, Beach Games, Mind Games, Urban Games, etc.), les X-Games d’été et d’hiver de Disney (pour les « disciplines extrêmes ») et le projet du nouveau président de SportAccord (association de la plupart des fédérations sportives internationales) de créer un « festival des sports » qui mettrait en valeur, tous les quatre ans, toutes les disciplines de ses membres dans une seule (très grande) ville ou pays.
La solution à ce « dilemme olympique » que devra affronter le nouveau président du CIO dès son élection en septembre prochain est de créer une nouvelle édition des Jeux : les Jeux olympiques du printemps. Ces Jeux viendraient s’insérer une année impaire sur deux entre les Jeux d’hiver et d’été. Ils regrouperaient, pour commencer, une quinzaine de sports ou disciplines non olympiques, parmi les plus universels et populaires, notamment pris dans la trentaine déjà reconnus de longue date par le CIO. Ces Jeux auraient lieu au printemps (avril-juin ou octobre-décembre dans l’hémisphère sud) ce qui faciliterait leur organisation dans des pays très chaud en été. A terme, c’est-à-dire quand les Jeux du printemps auront atteint leur vitesse de croisière, on peut imaginer que certaines disciplines présentes aux Jeux d’été ou qui veulent y entrer rejoignent ces nouveaux Jeux et ainsi allègent le programme des Jeux d’été. Le basketball pourrait y introduire sa version 3×3 et le football son futsal. Le volleyball pourrait garder le volley de plage pour l’été et le volley classique pour le printemps, etc. A long terme, on pourrait aussi imaginer des Jeux d’automne quand le nombre de sports de calibre olympique le justifiera. Dans l’Antiquité, les Jeux à Olympie étaient complétés par les Jeux néméens (à Némée), pythiques (à Delphes) et isthmiques (à Corinthe) qui constituaient un « circuit » très prisé de quatre ans.
Des Jeux du printemps permettraient de diffuser une fois de plus durant une olympiade le message olympique (notamment dans la forte majorité des pays qui ne participent pas aux Jeux d’hiver) et de générer des revenus supplémentaires pour le CIO, les CNO et les FI qui y participeraient. Les sponsors apprécieraient en effet une association plus régulière avec le monde olympique, et non plus seulement quadriennale. Des villes et pays plus petits pourraient plus facilement organiser les Jeux du printemps pour autant qu’ils évitent l’inflation des Jeux d’été.
En fait, ces Jeux existent déjà depuis 1981 : ils s’appellent les Jeux mondiaux et ont lieu tous les quatre ans, une année après les Jeux d’été. Leur neuvième édition vient d’avoir lieu, en juillet 2013, à Cali (Colombie) et a rassemblé plus de 4.500 athlètes de 101 pays dans 201 épreuves de 26 sports officiels et 5 sports de démonstration. Ces Jeux ne sont pas contrôlés par le CIO, mais par une organisation similaire quoique moins prestigieuse : l’Association des Jeux mondiaux. Ils bénéficieraient considérablement de l’apport de la marque olympique, comme en ont bénéficié les Jeux paralympiques. Il suffirait de renforcer les accords de coopération entre le CIO et les Jeux mondiaux qui existent depuis 2005 et de faire du président des Jeux mondiaux, comme des Jeux paralympiques, un membre du CIO.
Ces Jeux olympiques du printemps peuvent paraitre utopiques et risquent de rencontrer des oppositions, mais ils sont une occasion unique de positionner de façon stratégique le CIO face à une concurrence accrue. Tous les candidats à la présidence du CIO veulent accroitre son rôle et sa pertinence à la tête du sport mondial. Celui qui sera élu doit s’inspirer de Coubertin qui créa, en 1924, les Jeux d’hiver contre l’opposition des pays scandinaves qui avaient leurs Jeux nordiques, ou encore de Samaranch qui décala, en 1994, les Jeux d’hiver par rapport aux Jeux d’été. Ces deux innovations majeures ont incontestablement contribué à renforcer le CIO. Il faut les émuler !