Vice-président du CIO, président de l’Agence mondiale antidopage, Sir Craig Reedie compte parmi les dirigeants les plus influents du mouvement olympique. L’ancien joueur de badminton, âgé de 73 ans, connaît le mécanisme des Jeux de fond en comble, pour avoir dirigé le comité d’organisation de ceux de Londres en 2012. Présent aux Doha Goals en novembre dernier, il a répondu aux questions de FrancsJeux.
FrancsJeux: Parlons d’abord des Jeux d’hiver. Comment expliquez-vous que des pays comme l’Allemagne, la Suède, la Suisse, la Pologne ou la Norvège aient finalement décidé de renoncer à une candidature olympique?
Craig Reedie: Le problème n’est pas directement lié aux Jeux. Il est surtout politique. Une grande partie de l’Europe est actuellement dominée par des mouvements de protestation. On y proteste un peu contre tout, avec la montée d’un sentiment nationaliste. Je le vois très nettement dans mon pays, l’Ecosse. Face à un tel phénomène, les hommes politiques au pouvoir se montrent très réticents à s’engager dans des projets d’ampleur nationale. Ils restent sur la défensive, par peur de ne pas être réélus. Or, vous le savez comme moi, l’ambition ultime d’un homme politique est d’être réélu. L’Europe souffre actuellement d’un manque de leadership dans beaucoup de ses pays.
Dans certains cas, l’hostilité aux Jeux n’est pas venue du pouvoir politique, mais de la population…
C’est vrai, mais je le répète, les hommes politiques actuels manquent de la force et du charisme nécessaires pour expliquer aux populations l’intérêt des grands événements sportifs pour un pays, sa société et son économie.
Pensez-vous que cette hostilité aux Jeux, jusque-là circonscrite à l’hiver, puisse gagner les Jeux d’été?
Il est encore un peu tôt pour le dire, puisque le CIO n’a pas encore lancé les invitations pour déposer un dossier de candidature. Mais les médias allemands évoquent la candidature de Berlin ou Hambourg. Les Américains ont sélectionné quatre villes en course pour l’édition 2024. Le Qatar envisage de présenter Doha. Il est également possible que Bakou, en Azerbaïdjan, prenne la décision de passer des Jeux européens aux Jeux olympiques. Et je sais que les discussions sont très avancées pour une candidature de la France. Mais nous sommes encore loin d’entrer dans le vif du sujet pour les Jeux d’été de 2024.
Le CIO n’a-t-il pas sous-estimé la nécessité de mieux communiquer sur le coût réel des Jeux olympiques?
Certainement. Il y a eu un déficit de communication de la part du CIO, notamment en direction des villes intéressées par une candidature. Nous aurions dû mieux expliquer, par exemple, que la Russie n’a pas dépensé 50 milliards de dollars pour organiser des Jeux d’hiver à Sotchi, mais pour construire des stations de ski dont elle avait besoin. Et le CIO devrait plus souvent communiquer sur les Jeux de Londres et sur leurs chiffres. Ils ont été une réussite. Ils peuvent servir d’exemple.
Vous avez dirigé la commission d’évaluation des Jeux de 2020. Aujourd’hui, comment réagissez-vous à la décision des organisateurs japonais de finalement modifier leurs plans et préparer des Jeux moins coûteux?
La question ne se pose pas ainsi. Les organisateurs japonais envisagent, en effet, de déplacer deux ou trois sports vers sites différents de ceux prévus dans leur dossier de candidature. Mais leur décision n’est pas seulement économique. Elle est motivée, dans le cas de certaines disciplines aquatiques, par le développement de l’aéroport d’Haneda situé à proximité de la marina de Tokyo. Au final, je ne pense pas que le changement leur fasse gagner de l’argent. Et il ne serait pas juste, pour Madrid et Istanbul, que le dispositif olympique soit très différent du dossier de candidature. Une ville ne peut pas présenter un dossier sur papier, puis l’oublier une fois la victoire acquise et préparer autre chose.
Poul-Erik Hoyer, le président de la Fédération internationale de badminton, nous a récemment expliqué être favorable à une plus grande transparence dans le processus d’élection des villes olympiques. Il suggère que soit rendu public le vote de chacun des membres du CIO. Que pensez-vous d’une telle idée?
Elle nous amènerait certainement une plus grande couverture médiatique! Mais je ne suis pas certain qu’elle soit très pertinente. Le Danemark, pays de Poul-Erik Hoyer, possède une grande culture de la démocratie et de la transparence. Mais je ne pense pas que dans certains autres pays du monde, les membres du CIO aient tous envie que leur nom soit associé à la ville pour laquelle ils ont voté.
Que pensez-vous d’une possible candidature de Paris aux Jeux d’été de 2024?
Comme vous le savez, je faisais partie de l’équipe de Londres qui a battu Paris pour les Jeux de 2012. Je suis donc très flatté que, malgré cela, vous me posiez la question. Pour répondre, je dirais d’abord que je suis sûr, absolument sûr, que le CIO serait enchanté de voir Paris se lancer dans la course aux Jeux. Deuxièmement, je me rappelle avoir entendu l’un de mes amis allemands, pendant les Jeux de Londres, me dire qu’il trouvait incroyable l’ambiance sur les sites et dans la ville, et qu’il n’imaginait qu’une seule autre ville en Europe où l’atmosphère olympique pourrait être aussi intense: Paris. J’étais d’accord avec lui. Je le suis toujours. Mais la France, comme une bonne partie de l’Europe, souffre d’un pouvoir politique trop faible. Il devra être plus fort et uni pour accompagner le projet.