Le ciel n’était déjà pas très dégagé pour les athlètes russes. Depuis dimanche soir, il a pris des teintes encore plus grisâtres. Et la perspective de voir une équipe russe participer aux épreuves d’athlétisme des Jeux de Rio, en août prochain, s’éloigne à grands pas. En cause, la diffusion à la télévision, dans la soirée du 6 mars 2016, du troisième volet de l’enquête sur le dopage en Russie de la chaîne allemande ARD.
Le premier documentaire, dévoilé le 3 décembre 2014, avait pour titre « Dossier secret sur le dopage: comment la Russie produit ses vainqueurs ». Il révélait un dopage systématique couvert par les autorités nationales dans l’athlétisme. Une onde de choc. Le deuxième volet, « Dopage – top secret: le monde opaque de l’athlétisme », avait été diffusé par ARD juste avant les championnats du monde 2015 à Pékin. Un deuxième séisme.
Forcée par la gravité des faits à s’emparer du dossier, l’AMA a commandé un enquête à une commission indépendante. En novembre dernier, elle a déclaré l’agence russe antidopage (Rusada) et le laboratoire de Moscou non conformes au Code mondial antidopage. Dans la foulée, l’IAAF a démarré à son tour la machine à sanctions, suspendant la Russie de toute compétition d’athlétisme.
Avec ce troisième volet, « Les fausses pistes de la Russie », l’horizon se bouche encore un peu plus pour les athlètes russes. Le documentaire de 30 minutes démontre, faits et documents à l’appui, que rien n’a vraiment changé au pays de Vladimir Poutine. Les entraîneurs exclus continuent à entraîner. Les dealers poursuivent leur marché. Pire: les officiels de la lutte antidopage perpétuent la tradition de la tricherie en toute impunité.
L’enquête de la chaîne ARD présente ainsi des images d’un coach du demi-fond, Vladimir Mokhnev, suspendu pour des allégations de dopage, toujours en charge d’un groupe d’athlètes. A l’écart des regards, certes, dans une province reculée de Russie, mais sans faire grand cas de sa suspension.
La même enquête dévoile un enregistrement audio où on entend Anna Antselovich, la nouvelle directrice générale de la Rusada, avertir une athlète d’un contrôle antidopage à venir. Elle présente également des enregistrements de conversations téléphoniques avec un entraîneur russe sur la disponibilité de produits dopants et leurs coûts.
Troublant. Pour Joseph de Pencier, le président de l’Association internationale des organisations nationales antidopage (Inado), les éléments contenus dans le documentaire de la chaîne ARD sont de nature à exclure définitivement la Russie des Jeux de Rio. « Quand un officiel informe intentionnellement des athlètes à l’avance sur des tests antidopage, cela doit entraîner des conséquences disciplinaires. Il doit y avoir une enquête et la personne doit être limogée », estime-t-il dans un communiqué publié par ARD.
En Russie, la publication du documentaire a fait se lever d’un bond le ministre des Sports, Vitaly Mutko. Normal. En première ligne sur cette affaire, il ne ménage pas ses efforts pour acheter à l’athlétisme de son pays une nouvelle virginité. Sans grand résultat, semble-t-il. « L’imposition de sanctions sur des personnes spécifiques et le suivi de leur application relèvent des agences antidopage compétentes, et non de l’Etat, a-t-il réagi ce lundi 7 mars. Evoquer la responsabilité de l’Etat lorsqu’il s’agit d’infraction individuelle est impossible. Si des individus sont coupables, alors ils doivent être sanctionnés conformément aux règles en vigueur. » Pas très convaincant.
La balle est maintenant, une fois de plus, dans les mains de l’IAAF. La Fédération internationale s’est contentée, pour l’instant, d’une communiqué très diplomatique, où elle remercie la chaîne allemande et son enquêteur « d’avoir donné accès aux matériels vidéo et audio à Rune Andersen, la présidente de la task force de l’IAAF. Elle ajoute que son groupe de travail « va se pencher attentivement sur les questions soulevées par le documentaire et en discuter avec des représentants de la Rusaf (Fédération russe d’athlétisme) ». A cinq mois des Jeux de Rio de Janeiro, le temps presse. Dans les deux camps.