Accablant. Choquant. Désolant. Le monde du sport se sert de ses mots les plus sombres, depuis lundi après-midi, pour qualifier le tableau dressé par le rapport McLaren de la réalité du dopage en Russie. Mais les qualificatifs ne suffisent pas pour coller à la réalité des faits. Commandé par l’Agence mondiale antidopage (AMA), le document du juriste canadien (notre photo, ci-dessous) décrit un système de dopage d’Etat, « dirigé, contrôlé et supervisé » par le ministère du Sport russe, avec l’aide des services secrets et des laboratoires antidopage de Moscou et de Sotchi. En clair, un violent retour dans le temps, jusque dans les années 70 et 80, lorsque les pays du bloc communiste avaient érigé la triche en une cause et un enjeu nationaux.
Les faits, d’abord. Le rapport McLaren, du nom du juriste canadien Richard McLaren missionné par l’AMA pour conduire une enquête sur des soupçons de dopage dans le sport russe, a été présenté lundi 18 juillet à Toronto lors d’une conférence de presse. Il avait été commandé en mai dernier, à la suite d’un article du New York Times qui détaillait le système généralisé de dopage mise en place pour aider les athlètes russes à tricher aux Jeux d’hiver de Sotchi en 2014. Comme son auteur l’a expliqué, ce rapport ne propose aucune recommandation, il se résume à établir les faits et à les présenter.
Selon les propres mots de Richard McLaren, le rapport prouve « au-delà de tout doute raisonnable » que le système de dopage organisé a touché la grande majorité des sports, d’hiver comme d’été. Il aurait fonctionné de la fin 2011 jusqu’à août 2015. Il aurait notamment été utilisé pour masquer des résultats de tests antidopage positifs aux Mondiaux d’athlétisme en 2013 à Moscou, aux Jeux d’hiver à Sotchi, aux Mondiaux de natation en 2015 à Kazan.
A la lecture de ce rapport, publié dans son intégralité pour sa version anglaise sur le site Internet de l’AMA, trois conclusions se dégagent:
- Les athlètes russes ont été protégés par une méthode de « disparition positive » des échantillons d’urine et de sang mise en place au laboratoire antidopage de Moscou. Pas moins de 139 cas positifs ont ainsi été masqués en athlétisme, 117 en haltérophilie, 28 en lutte, 26 en cyclisme… Au total, 29 sports ont été concernés.
- Le ministère du Sport a dirigé, contrôlé et supervisé la manipulation des analyses des résultats des athlètes, ou le remplacement d’échantillons d’urine et de sang, avec l’aide des services secrets russes, ainsi que des laboratoires antidopage de Moscou et de Sotchi. Le raport cite notamment le rôle actif joué par Yuri Nagornykh, le vice-ministre des Sports. Il décidait lesquels, parmi les athètes, pouvaient bénéficier de cette méthode de « disparition positive. »
- Aux Jeux d’hiver en 2014, le laboratoire antidopage de Sotchi a utilisé une méthode inédite de remplacement des échantillons d’urine et de sang pour permettre aux athlètes russes de prendre part aux Jeux.
Le rapport McLaren précise: « Le personnel du laboratoire de Moscou n’avait pas le choix quant à son implication dans ce système […] qui permettait aux athlètes russes de participer à des compétitions malgré l’utilisation de produits dopants. » La raison d’Etat, en somme.
Les réactions, maintenant. Accablées et unanimes. Unanimement choquées. Thomas Bach a réagi quelques heures après la conférence de presse de Richard McLaren à Toronto via un communiqué de presse. « Le rapport McLaren montre une atteinte choquante et sans précédent à l’intégrité des sports et des JO. […] Le CIO n’hésitera pas à prendre les sanctions les plus strictes possible, contre tout individu et toute fédération impliqué(e). » Une réunion de la commission exécutive du CIO est appelée pour ce mardi, lors de laquelle « pourraient être prises des mesures provisoires et des sanctions par rapport aux Jeux de Rio 2016 ».
Au Brésil, le ministre des sports, Leonardo Picciani a précisé que le sort de la Russie aux Jeux de Rio relevait « des entités du sport, des fédérations internationales et de l’Agence mondiale antidopage (AMA), qui doivent analyser le cas et prendre leur décision. »
La Fédération internationale d’aviron (FISA) a publié un communiqué de presse où, après avoir noté l’implication de l’aviron dans le système de dopage en Russie, elle assure se pencher déjà sur les résultats des allégations du rapport McLaren et leur impact potentiel sur les régates des Jeux de Rio. Une façon de dire que les bateaux russes qualifiés pour les Jeux de Rio pourraient très rapidement perdre leurs places sur les feuilles d’engagés.
La FIFA a promis de prendre des « mesures appropriées », alors que le rapport McLaren avance que 11 cas positifs concernant des joueurs du championnat russe, dont un étranger, ont été cachés.
L’IAAF a indiqué vouloir se pencher sur les 139 cas d’athlètes russes dont les résultats positifs ont été masqués, afin de les croiser avec ses propres données.
A Moscou, le Kremlin a indiqué dans un communiqué que « les responsables cités dans le rapport de la commission comme étant les exécutants directs (des infractions) seront temporairement suspendus de leurs fonctions jusqu’à la fin de l’enquête. » Mais s demandes formulées par l’AMA après le dépôt du rapport McLaren.
Les conséquences, enfin. A ce stade de l’histoire, elles ne sont plus légion. Le CIO pourrait décider dès aujourd’hui l’exclusion de la Russie des Jeux de Rio, toutes disciplines confondues. Lundi 18 juillet, l’AMA a pris les devants en appelant à cette mise à l’écart du pays tout entier. « L’AMA appelle le mouvement sportif à empêcher la participation des sportifs russes aux compétitions internationales, y compris les JO de Rio, tant que (la Russie) n’aura pas réalisé un changement de culture, a expliqué son porte-parole, Ben Nichols. Le rapport McLaren a mis en évidence les abus de pouvoir par la Russie les plus délibérés et choquants jamais vus dans l’histoire du sport. »