Il s’exprime peu, mais ses propos laissent rarement indifférent. Président du comité olympique et interfédéral belge (COIB), Pierre-Olivier Beckers appartient depuis 2012 à la grande famille des membres du CIO. Entré dans la maison au moment des Jeux de Londres, il préside aujourd’hui sa commission d’audit, tout en siégeant aux commissions d’éthique et des finances. A l’heure où le mouvement olympique traverse une période de gros temps, le dirigeant belge a répondu longuement et sans langue de bois aux questions de Philippe Vande Weyer, journaliste au quotidien Le Soir.
Que vous inspire les renoncements en cascade des villes candidates aux Jeux, avec désormais seulement Los Angeles et Paris en course pour les JO de 2024?
Pierre-Olivier Beckers: Plusieurs choses, à commencer qu’il y a deux villes extraordinaires qui vont se disputer les JO 2024 ! Avec des candidates de ce calibre-là, il n’y a pas besoin de créer une compétition entre 5 ou 6 villes, même si cela pourrait sembler plus dynamique…
Il y a quand même un malaise…
Effectivement. Mais la visibilité des candidatures est telle, aujourd’hui, que celles-ci sont capturées par des intérêts politiques pour faire avancer des idées dans un sens ou un autre, en général par les partis d’opposition. On l’a encore vu avec Budapest. Face à cela, le CIO ne peut pas faire grand-chose.
Les opinions publiques ne vous sont quand même pas très favorables non plus !
L’opinion publique réagit par rapport aux infos qu’on lui donne. Si on lui dit que son pays et sa ville veulent organiser les Jeux et que ça va coûter 25 milliards de dollars pour deux semaines de compétition, il est évident que les gens vont se poser des questions. C’est de l’info diffusée à dessein et dans un but spécifique. C’est une perception fausse. L’organisation des Jeux, c’est un budget de 3 à 3,5 milliards de dollars qui est totalement sous contrôle pour chaque ville organisatrice. A côté de ça, il y a un budget spécifiquement lié aux infrastructures sportives pour lequel le CIO encourage des installations existantes ou démontables. C’est un message qui doit encore se renforcer. Et puis, il y a le troisième budget, celui de la modernisation de la ville ou de la région (aéroport, périphérique, métro, village olympique…) qui devrait mieux s’inscrire dans une politique à long terme et qui est totalement manipulé par ceux qui s’opposent aux JO. Aucune société dans le monde qui fait un très gros investissement ne va exiger de retour sur investissement en deux ans !
Les référendums vous ont coûté quelques renoncements. Ne faut-il plus les organiser ?
C’est une question qu’on peut se poser. Il y a beaucoup d’exemples récents qui montrent qu’un référendum systématique est souvent une manière pour les hommes politiques de fuir leurs responsabilités. Les Jeux, ce sont des enjeux qui dépassent les quelques années qui viennent et qui sont d’une grande technicité et complexité. Si on pense, à un moment donné, qu’ils peuvent profondément transformer une ville et que celle-ci en a besoin, il faut prendre ses responsabilités. Avec, je l’admets, un meilleur accompagnement et plus de clarté de la part du CIO pour éviter les « éléphants blancs » et que des choses inutiles viennent plomber l’image du mouvement olympique et la santé financière de la ville. Il faut mieux estimer les coûts au départ en impliquant d’emblée les meilleurs experts d’un pays.
Plaidez-vous pour une réforme dans le processus d’attribution des Jeux ?
Oui, et je ne suis pas le seul à le faire. le président du CIO, Thomas Bach, en est également convaincu. On va plancher sur des propositions de réforme lors d’une session extraordinaire, en juillet. Le CIO doit prendre ses responsabilités pour améliorer et alléger le processus d’attribution des Jeux. Une candidature coûte clairement trop cher – entre 30 et 50 millions de dollars. Et si une ville n’est pas élue et qu’elle veut se représenter quatre ans plus tard, elle va encore devoir dépenser des dizaines de millions de dollars. Il y a un moment où ça décourage les gens.
Etes-vous favorable à la double attribution des Jeux de 2024 et 2028 à Los Angeles et Paris en septembre, à la session du CIO à Lima ?
Ce serait une bonne chose. Le faire maintenant, quand on sait qu’il y a une crise à résoudre sur ce processus, et pouvoir ainsi éviter qu’il y ait un perdant et qu’une des deux villes se dise « J’ai dépensé tout ça pour rien ». Confirmer la tenue des Jeux dans deux cités extraordinaires et emblématiques qui sont capables de les organiser de manière professionnelle me semble extraordinairement positif pour le mouvement olympique. Ça nous donnerait le temps jusqu’en 2025 de faire une réforme en profondeur. D’un autre côté, il faut voir si Paris et Los Angeles seront d’accord. Dans les deux cas, il y a aujourd’hui une harmonie qui permet à la candidature d’aller de l’avant. Rien ne dit qu’elle sera encore là pour 2028.
Que pensez-vous de l’option d’une co-organisation par deux villes ou deux pays, comme on l’a déjà vu en football ?
S’il y a une logique culturelle et logistique, je suis convaincu que ça arrivera. Des Jeux co-organisés en Belgique et aux Pays-Bas, par exemple, cela me semble tout à fait possible. Si une telle proposition arrive sur la table, beaucoup de membres du CIO pourraient y êtres favorables.