La messe est dite. Avec quelques minutes d’avance sur le programme annoncé, le CIO a attribué à Paris et à Los Angeles les Jeux d’été en 2024 et 2028, mercredi 13 septembre, au centre de convention de Lima. Le scénario était écrit depuis plusieurs semaines. L’incertitude n’avait pas été autorisée à entrer dans la salle. Tout juste pouvait-on se demander s’il se trouverait une ou plusieurs mains, parmi les membres du CIO, pour manifester une opposition au double vote.
Il n’y en a pas eu. A l’unanimité, l’organisation olympique a entériné l’affaire. Paris 2024, Los Angeles 2028. « Un jour historique et heureux, a suggéré Thomas Bach à sa sortie de la salle, en conférence de presse. Aujourd’hui, je ne pourrais pas être plus heureux. »
Que dire de la présentation des deux villes candidates, ultime grand oral vidé par avance de toute sa raison d’être? A l’image de sa campagne, Paris a soigné les détails et sprinté jusqu’au bout. La partition a été parfaite, d’un bout à l’autre, avec un usage subtil de la palette linguistique (français, anglais, arabe, russe, espagnol et japonais), relevée par une émotion réelle et un engagement total. En prime, un message d’Emmanuel Macron délivré par vidéo. Brillant.
Côté américain, le boulot a été fait. Los Angeles a joué le jeu, mais sans donner l’impression de faire appel à tout son savoir-faire. A l’image de leurs chaussures, une paire de Nike pour les quatre intervenants masculins, les Californiens ont abordé l’exercice avec décontraction. Ils n’ont déçu personne. Janet Evans a été émouvante, Allyson Felix charmante, Eric Garcetti charismatique. Mais il était légitime d’attendre de leur part une démonstration plus hollywoodienne.
Douze ans après la douche froide de Singapour, l’équipe parisienne ramène les Jeux à Paris. Anne Hidalgo n’a pu retenir ses larmes. Guy Drut a presque versé la sienne. Tony Estanguet a avoué, le regard humide: « J’ai été surpris par l’émotion du moment. C’était très fort. J’ai pensé à tous ces athlètes qui auront la chance de vivre les Jeux dans leur pays. »
Les clefs de la victoire? Elles tiennent en trois mots: unité, méthode et contexte.
L’unité. Valérie Pécresse l’a expliqué à la veille du vote: « Nos adversaires attendaient le moment où nous allions tous nous chamailler. » Leur attente a été déçue. Fait rarissime: l’équipe de candidature n’a jamais laissé ses différences affaiblir ses chances. La victoire de Valérie Pécresse aux élections régionales a obligé Anne Hidalgo à composer avec une adversaire politique. L’incertitude de la présidentielle a parfois pesé sur l’avancée du projet. Le remplacement du duo Kanner-Braillard par Laura Flessel, au ministère des Sports, a modifié le casting des membres fondateurs. Mais le bateau n’a jamais tangué. « Tout n’a pas été simple, loin de là, mais la volonté de l’emporter a toujours pris le dessus », résume ce cadre du comité de candidature. Tony Estanguet avoue: « Qui aurait cru que Paris 2024 puisse fédérer les étudiants, le chef de l’Etat, les patrons d’entreprise et les syndicats. »
La méthode. Un consultant de Los Angeles 2028 le reconnaît: « Les Français ont mené une campagne classique, mais parfaite, un modèle du genre. » A la différence de Paris 2012, où les derniers tours de piste avaient été mal négociés, voire désastreux, l’équipe de candidature ne s’est jamais écarté de sa ligne de conduite. Le lobbying, éternel point faible du sport français, a été réussi. Comment? « Le lobbying reste une affaire de méthode, avec une approche presque froide, explique Etienne Thobois, le directeur général de Paris 2024. Nous sommes partis du principe qu’il ne devait pas être l’affaire d’une seule personne, ou d’un petit groupe, mais un travail d’équipe. Un projet olympique s’avère très vaste. Le message peut être délivré par des personnes très différentes. »
A l’inverse des Américains, les Français n’ont jamais envisagé de changer leur fusil d’épaule et se tourner vers l’option 2028. Sur le moment, cette position avait pu sembler rigide. Il s’était même dit qu’elle risquait d’affaiblir le dossier français, face à des Californiens plus souples, déterminés à se présenter comme des « partenaires » du mouvement olympique, pas seulement des candidats. Etienne Thobois insiste: « Nous n’avons jamais envisagé une autre option. 2024 était notre mandat. En tournant la question dans tous les sens, nous en sommes toujours arrivés à la même conclusion: 2024, seulement 2024. Cette analyse – meilleur dossier, meilleur timing – a fini par être partagée par beaucoup de gens, dans l’administration du CIO, parmi les membres et dans les fédérations internationales. »
Le contexte. Paris a été servie par les circonstances. L’élection de Donald Trump d’un côté de l’Atlantique, celle d’Emmanuel Macron de l’autre. Beaucoup en conviennent dans les deux camps: une victoire de la démocrate Hillary Clinton, très proche d’Eric Garcetti, dans la course à la Maison Blanche, aurait largement modifié la donne. « Les Américains auraient eu une énorme confiance, nous aurions ramé », reconnaît l’un des porteurs du projet français. En juin dernier, la visite de Thomas Bach à Washington, pour y rencontrer Donald Trump, aurait encore pu donner un coup de pouce à la candidature de L.A. Elle a eu l’effet inverse. Selon un proche du dossier, l’entrevue n’a pas été très constructive, voire hostile, le président américain traitant le dirigeant allemand comme un interlocuteur sans importance.
En face, Emmanuel Macron a bousculé son emploi du temps de nouveau chef de l’Etat français pour recevoir à l’Elysée les membres de la commission d’évaluation, le 16 mai dernier. Moins de deux mois plus tard, il a fait le voyage vers Lausanne pour la session extraordinaire du CIO. L’une des clefs de la victoire.