Laura Flessel, la ministre des Sports, l’avait annoncé dès l’attribution à Paris des Jeux d’été 2024: la France devra doubler son nombre de médailles dans un peu plus de 6 ans, à domicile. Une poussée de croissance susceptible de la propulser dans le top 3 des nations au soir de la cérémonie de clôture.
Réaliste? Le journaliste Ludovic Mauchien a ouvert le dossier. Il a mené l’enquête, en France et à l’étranger. Il a interrogé 25 experts et officiels du mouvement sportif, dont Tony Estanguet, Claude Fauquet, Denis Masseglia ou Jean-Pierre De Vincenzi.
Le résultat tient dans un livre, sorti cette semaine: « JO 2024: Participer ou gagner? » Il a répondu aux questions de FrancsJeux.
FrancsJeux: La France peut-elle profiter des Jeux de Paris 2024 pour se glisser parmi les toutes premières puissances sportives mondiales?
Ludovic Mauchien: La France figure dans le top 10 au classement des médailles depuis les Jeux de Séoul en 1988. Elle était 7ème aux Jeux de Londres 2012, puis encore aux Jeux de Rio 2016. En 2024, elle peut se glisser dans le top 5, voire le top 3. La Grande-Bretagne l’a fait: elle était 36ème aux Jeux d’Atlanta en 1996, elle a grimpé à la 2ème place à Rio 2016. La France part de nettement moins loin. Tout est donc possible.
Comment doit-elle s’y prendre?
Elle doit se concentrer sur les sports individuels à multiples catégories: athlétisme, judo, boxe, taekwondo, lutte, cyclisme, haltérophilie, aviron, canoë-kayak… Les pays du top 5 au classement des médailles font la différence en cartonnant dans ces disciplines. Mais pour atteindre le top 3, elle doit aussi se concentrer sur la qualité, non plus sur la quantité. Le classement des nations, aux Jeux, se fait sur les médailles d’or. Il faut affiner le travail et la préparation, pour changer le bronze et l’argent en or. En clair, passer d’une logique de haut niveau à une stratégie de très haute performance.
Claude Onesta, l’ancien sélectionneur de l’équipe de France masculine de handball, a été missionné par Laura Flessel pour mener une mission sur la performance aux Jeux de Paris 2024. Il a rendu en début d’année un rapport…
En effet. Un rapport de plus. Le sixième en une année. En 2016, les Etats généraux du sport français en avaient accouché d’un. Philippe Graille a en rédigé un autre. Hervé Madoré également. Pour les Jeux de Paris 2024, on peut trouver surprenant que la mission ait été confiée à un spécialiste des sports collectifs, sachant que l’objectif de 80 médailles ne peut-être atteint qu’en réalisant un parcours exemplaire dans les disciplines individuelles. Claude Onesta a audité 66 personnes. Parmi elles, une vingtaine appartient au mouvement paralympique. Les personnes interrogées représentent seulement une dizaine de sports.
L’organisation actuelle du sport français est-elle adaptée à un objectif de 80 médailles aux Jeux de Paris 2024?
Le système date des années 60. Il fonctionne encore, mais il s’essouffle. Le mouvement sportif dispose actuellement de 1600 cadres techniques, dont 400 sont affectés au haut niveau. Les moyens manquent pour recruter des entraîneurs supplémentaires. Surtout, il faut en finir avec ce jeu des chaises musicales, qui permet à certains cadres de passer d’une fédération à une autre, sans réelle justification de compétences. Aux Jeux, un coup ça marche, un coup ça ne marche pas. Un coup le judo ramène les médailles, la fois suivante c’est la boxe Chacun travaille dans son coin, sans réelle unité. Le DTN de la boxe (Kévinn Rabaud) me l’a confié: les résultats exceptionnels des Jeux de Rio (6 médailles dont 2 en or) sont le résultat d’une génération exceptionnelle. Il sera très difficile de les répéter à Tokyo 2020 ou à Paris 2024.
De quel exemple faudrait-il s’inspirer?
La Grande-Bretagne. Le haut niveau est organisé et géré par UK Sport. Cette organisation assez unique représente la grande force du système britannique. UK Sport conseille, oriente et distribue les moyens. Il existe un processus d’évaluation permanente. Quand une fédération ne travaille pas dans la bonne direction, ses subventions tombent. En France, les conventions d’objectifs répondent à la même logique, mais le système s’avère nettement moins radical.
A 6 ans et quelques mois des Jeux de Paris 2024, est-il encore temps de remettre les choses en ordre?
Certainement. La France ne part pas de zéro. Remporter 80 médailles me semble très compliqué, mais atteindre le top 3 est possible. Le mouvement sportif travaille, il possède des gros compétiteurs. Mais l’organisation manque d’optimisation. Le Japon et la Grande-Bretagne n’ont pas attendu d’avoir les Jeux pour réformer leur système. Mais peut-être faut-il faire l’impasse sur un résultat flatteur à Tokyo 2020 pour réussir pleinement Paris 2024.
La Grande-Bretagne a été plus brillante aux Jeux de Rio 2016 que sur son propre sol, aux Jeux de Londres 2012. La France peut-elle profiter des Jeux de Paris 2024 pour s’installer à long terme parmi l’élite mondiale?
C’est tout le mal qu’on peut souhaiter au sport français. L’enjeu est de profiter de Paris 2024 pour mettre en place un système qui nous emmène dans le top 5 mondial jusqu’en 2030 ou 2040.