Samedi 3 novembre, à Moscou, la Fédération internationale de boxe (AIBA) s’est doté d’un président pour les 4 prochaines années. Mais en choisissant l’Ouzbek Gafur Rakhimov, un ancien entraîneur au temps de l’Union soviétique, elle a également suspendu un immense point d’interrogation au-dessus de son avenir olympique.
Les faits, d’abord. Ils semblent empruntés à un mauvais film. Samedi, Gafur Rakhimov a obtenu 86 voix au terme du scrutin pour le fauteuil présidentiel. Le chiffre est officiel. Il n’est pas discutable. Le reste se révèle plus douteux. Dans son communiqué officiel, l’AIBA ne précise pas le nombre de voix attribuées à son seul rival, le Kazakh Serik Konakbayev.
Mystère également sur le nombre de délégués ayant participé aux votes. Selon les sources, il varie entre 134 et 138. Au moins 6 délégués censés mettre un bulletin dans l’urne ont disparu au moment du scrutin.
Quant au vote lui-même, ses conditions feraient volontiers sourire si l’avenir d’un sport et de ses athlètes n’était pas menacé. Le scrutin devait se faire de façon électronique, mais cette option a été abandonnée après plusieurs essais infructueux. Le personnel de l’AIBA a dû faire imprimer en urgence 200 bulletins, puis fabriquer une urne avec une boîte en carton et la couvrir d’un drap.
Le vainqueur, maintenant. Tout a été dit sur Gafur Rakhimov, 67 ans, ancien homme fort du comité olympique ouzbek, devenu président par intérim de l’AIBA en janvier dernier, après le départ forcé du Taïwanais CK WU. En décembre 2017, il a été accusé par le département du Trésor américain d’être « l’un des criminels les plus importants d’Ouzbékistan et un acteur important du trafic d’héroïne. » L’intéressé s’en défend. Mais ses tentatives de laver son image ne semblent convaincre personne dans le mouvement olympique.
A l’issue de l’élection, samedi après-midi, Gafur Rakhimov s’est posé en sauveur de l’AIBA. Il a expliqué à l’agence TASS que l’organisation internationale était « au bord de la banqueroute et de l’auto-destruction » au moment où il a accepté d’en assurer la présidence par intérim. L’Ouzbek a ajouté : « C’est pour préserver l’avenir de la boxe et de l’AIBA que j’ai accepté non seulement un intérim, mais également de me présenter à l’élection pour la présidence. »
Le lendemain, dimanche 4 novembre, Gafur Rakhimov s’est fendu d’un communiqué de presse destiné aux médias internationaux. Après avoir assuré que l’élection s’était déroulée selon un processus parfaitement démocratique, l’Ouzbek a déclaré : « A compter d’aujourd’hui, nous sommes plus confiants et plus déterminés que jamais pour ramener notre sport là où il mérite d’être. J’ai mentionné précédemment qu’il y avait deux points sur lesquels nous devions nous concentrer : l’avenir de l’AIBA aux Jeux olympiques et l’avenir de l’AIBA en tant qu’organisation. En tant qu’organisation, nous avons réalisé d’énormes progrès. Nous avons progressé dans notre transparence, notre gouvernance, nos statuts, nos règles d’arbitrage et de jugement, notre procédure antidopage et nos procédures financières (…). Mais nous ne voulons pas nous arrêter là, nous voulons être meilleurs. Nous voulons être une organisation modèle et nous sommes sur la bonne voie pour y arriver »
Le nouveau président élu de la boxe évoque également le sujet brûlant du moment : la menace d’exclusion des Jeux, brandie depuis plusieurs mois par le CIO. « En ce qui concerne l’avenir de l’AIBA aux Jeux olympiques, permettez-moi de conclure en adressant la parole à nos amis du Mouvement olympique, écrit Gafur Rakhimov. Nous vous avons entendu, nous vous avons écouté et nous avons beaucoup appris de vous. Nous nous engageons à continuer à nous améliorer dans tous les domaines que vous estimez devoir améliorer. »
Gafur Rakhimov assure avoir entendu et écouté le CIO. Mais il semble peu probable que Thomas Bach ait envie d’en faire autant. L’organisation olympique a suspendu depuis plusieurs mois ses aides financières à l’AIBA, dont la dette s’élèverait à 19 millions de dollars, selon le rapport financier présenté en fin de semaine au congrès de Moscou. Le CIO pourrait encore alourdir ses sanctions.
Le cas de l’AIBA sera étudié lors de la prochaine réunion de la commission exécutive du CIO, prévue du 30 novembre au 1er décembre 2018 à Tokyo. Elle passera en revue les questions de gouvernance, des finances, les problèmes d’arbitrage et la lutte antidopage. Surtout, Thomas Bach et sa garde rapprochée se pencheront sur la façon de maintenir la boxe aux Jeux de Tokyo 2020, afin de pas pénaliser les athlètes, mais tout en sanctionnant ses dirigeants.
Comment ? Le CIO va y travailler dans les prochains jours. Selon Insidethegames, le Kazakh Serik Konakbayev, largement battu samedi à Moscou, aurait prévu de se rendre à Lausanne, peut-être dès cette semaine. Il annonce un « deuxième round » destiné à « sauver la boxe. » La démarche peut surprendre.
Le CIO fera-t-il affaire avec Serik Konakbayev, ou avec un autre dirigeant de l’opposition, pour mettre en place un processus de qualification, puis un tournoi olympique, en marge de l’AIBA ? Possible. Dans tous les cas, il lui faudra agir avec fermeté. Sa crédibilité est en jeu.