Le mouvement olympique n’est jamais en retard d’une surprise. Mercredi 28 novembre, au premier jour de l’assemblée générale de l’ACNO à Tokyo, ses représentants ont bousculé l’ordre proposé par le programme. Ils se sont dressés comme un seul homme face à la décision de leur leader. Ils ont plébiscité leur président.
Débutée par un discours livré au sprint par Shinzo Abe, le Premier ministre japonais, la matinée s’annonçait sans histoire. Une série de présentations, dont celles des Jeux d’hiver de PyeongChang et des Jeux de la Jeunesse de Buenos Aires, quelques remises de médailles, une succession de paroles de bienvenue… Rien de très excitant. Un air de déjà-vu.
A mi-parcours de la matinée, au Grand Prince Hotel Takanawa de Tokyo, Sheikh Ahmad al-Fahad al-Sabah a réveillé les assoupis en annonçant la nouvelle que toute l’assistance connaissait depuis au moins la veille : sa décision de se mettre en retrait de l’ACNO (Association des comités nationaux olympique). A titre provisoire, a-t-il précisé. Le temps de l’enquête, a ajouté le dirigeant koweïtien.
Président de l’ACNO, de l’Association des comités olympiques asiatiques et de la Solidarité olympique, Sheikh Ahmad al-Fabah al-Sabah est soupçonné par la justice suisse, avec quatre présumés complices, d’avoir fabriqué des faux afin de faire porter la responsabilité d’une tentative de coup d’état à l’ancien Premier ministre koweïtien et au président du Parlement.
Il nie les faits et évoque une complot d’origine politique. Mais il a choisi de suspendre ses activités dans le mouvement olympique, au CIO dans un premier temps, puis à l’ACNO, où il est seul candidat à sa succession pour le rôle de président.
Mercredi matin, Sheikh Ahmad a ouvert l’assemblée générale de l’ACNO comme à son habitude. Puis il a interrompu l’ordre du jour pour annoncer sa décision de se retirer. « Je reviendrai, ne vous inquiétez pas. Je reviendrai encore plus fort », a-t-il déclaré, le regard embué par l’émotion. Puis il a imposé une pause café, histoire de soulager une assistance aussi abattue que si elle venait d’apprendre la fin des temps.
A la reprise, l’Uruguayen Julio Cesar Maglione, 83 ans, président de la Fédération internationale de natation (FINA), invité selon les statuts à prendre la place du sheikh, s’est attelé à poursuivre l’ordre du jour. Mais le président du comité olympique marocain, Fayçal Laaraïchi, a demandé la parole.
« Sheikh Ahmad nous a annoncé sa décision de se retirer provisoirement, mais je ne suis pas d’accord, a expliqué, en substance, le dirigeant africain. Il est notre leader. L’affaire dont il est question avec la justice suisse est d’ordre familial. Elle n’a rien à voir avec le sport et avec l’ACNO. Nous devons procéder malgré tout à l’élection. Nous devons l’élire à la présidence pour un nouveau mandat de 4 ans. »
Dans la salle, l’assistance a fait silence. A la tribune, Julio Cesar Maglione a semblé ne pas avoir tout à fait saisi les paroles du Marocain. Puis la Syrie, le Sri Lanka, le Soudan, l’Irak, et une longue succession d’autres représentants de comités nationaux olympiques, ont demandé à leur tour la parole. Avec une même requête : empêcher Sheikh Ahmad de quitter le navire et les abandonner en pleine mer.
L’Australien Kevan Gosper, président de la commission électorale de l’ACNO, a tenté de ramener l’assistance à la raison. Il a expliqué, patiemment puis avec fermeté, qu’il était impossible de forcer quelqu’un à se présenter contre son gré à une élection. Autant parler à un mur. Dans la salle, les interventions ont continué. Le mouvement olympique ne veut pas voir Sheikh Ahmad s’effacer du paysage. Il veut lui renouveler sa confiance pour un nouveau bail de 4 ans, quitte à le laisser ensuite régler à l’écart son problème avec la justice suisse.
A l’heure du déjeuner, la question n’était toujours pas réglée. Elle ne devrait pas l’être avant la deuxième journée de l’assemblée générale, jeudi 29 novembre. A l’initiative de Kevan Gosper, il a été décidé de rédiger un courrier à Sheikh Ahmad, toujours présent à Tokyo mais absent de la salle des débats, pour l’informer de la position des comités nationaux olympiques. Et, surtout, lui demander d’accepter de se laisser réélire à la présidence de l’ACNO. Du jamais vu.
Après le déjeuner, Sheikh Ahmad est revenu dans la salle. Il a demandé à l’assistance de respecter sa décision. Il a promis de reprendre son rôle sitôt le procès terminé.
L’élection a la présidence de l’ACNO a été reportée. Dans l’intervalle, le Fidjien Robin Mitchell, élu mercredi après-midi sans opposition au poste de premier vice-président, assurera l’intérim.
Pour le CIO et son président, Thomas Bach, la matinée à pris des allures de sévère remontrance. Lundi 26 novembre, la commission exécutive de l’organisation olympique avait cherché à prendre les devants en annonçant la première, via un communiqué, la décision de Sheikh Ahmad de se mettre en réserve le temps de l’enquête. Par cette démarche, elle tenait à afficher son autorité sur le mouvement olympique.
Mercredi matin, à Tokyo, les représentants des 206 comités nationaux olympiques ont montré qu’ils n’acceptaient pas un tel rapport de forces. Au delà de leur soutien à Sheikh Ahmad, ils ont signifié au CIO leur indépendance et leur force collective.