La course la plus difficile de sa vie ? Sans doute. Caster Semenya, la double championne olympique du 800 m, a débuté lundi 18 février à Lausanne un combat pour sa carrière d’athlète, mais aussi pour sa dignité de femme.
Une épreuve où ses adversaires ne disposent pas des mêmes armes. Elle s’attaque à l’IAAf, rien de moins, et à son règlement imposant aux femmes produisant un taux anormalement élevé de testostérone de prendre des médicaments.
La bataille ne se dispute pas dans un stade, mais devant le Tribunal arbitral du sport. Caster Semenya en a poussé la porte lundi 18 février, à Lausanne, encadrée de ses avocats. Elle n’a pas prononcé un seul mot à l’adresse des médias. A la place, un geste de la main, le V de la victoire. Elle a réservé ses commentaires aux réseaux sociaux, publiant sur son compte Twitter ces deux phrases : « Dieu a déjà préparé le chemin. Il est juste en train de vous préparer. »
Son audition devant le TAS devrait se poursuivre toute la semaine. La décision de ses experts est attendue au plus tard dans un mois, sans doute avant la fin du mois de mars.
Le différent est connu. Il a déjà fait couler beaucoup d’encre. L’IAAF a introduit l’an passé un nouveau règlement imposant aux femmes dites « hyperandrogènes » de faire baisser avec des médicaments leur taux de testostérone. Le règlement en question concerne les courses allant du 400 m au mile (1.609 m).
Caster Semenya le conteste. Elle assure être « incontestablement une femme ». Elle accuse l’IAAF d’avoir introduit un tel règlement dans le seul but de perturber sa carrière. Contrainte de subir un traitement à base de médicaments, l’athlète sud-africaine perdrait en effet une partie de ses moyens physiques.
Au premier jour des auditions, lundi, les deux camps ont exposé leur position. Sebastian Coe, le président de l’IAAF, présent à Lausanne pour être entendu par le TAS, a invoqué l’intérêt général. « Aujourd’hui est un jour très très important », a suggéré le Britannique. « La valeur fondamentale de l’IAAF est la promotion des jeunes filles et des femmes en athlétisme, c’est ce que nous sommes ici pour défendre », a-t-il poursuivi.
En face, les avocats de la jeune femme parlent de respect et d’équité. « Elle demande à être respectée et traitée comme n’importe quel autre athlète, insistent-ils. Son don génétique devrait être célébré, pas faire l’objet de discrimination. »
Pour les juristes du TAS, le cas s’annonce d’une extrême complexité. Les documents scientifiques sont nombreux. Les avis d’experts divergent. Surtout, le contexte donne à l’affaire une résonance très médiatique, voire politique.
En Afrique du Sud, les autorités sportives se rangent en bon ordre derrière leur athlète. La ministre des Sports, Tokozile Xasa, n’hésite pas à parler d’une « violation grossière des normes internationales en matière de droits de l’Homme. » Elle déplace le débat très au-delà du seul cas de Caster Semenya, assurant que « le droit de chacun à faire du sport » est en jeu.
Pas étonnant que la première journée des auditions ait rapidement tourné à une bataille verbale entre les deux camps. L’IAAF a produit un document attestant le soutien de certains experts du TAS. Les avocats de Caster Semenya ont riposté en condamnant une « violation flagrante relative à la confidentialité des débats, orchestrée dans le but d’influencer l’opinion publique ». La suite des auditions, ce mardi, s’annonce du même niveau.
Dans le mouvement sportif international, le conflit entre Caster Semenya et l’IAAF est observé avec intérêt. La décision du TAS pourrait en effet avoir des conséquences plus larges que le seul demi-fond féminin.
Le CIO, notamment, serait dans l’attente de sa résolution pour éventuellement modifier ses règlements sur le taux de testostérone autorisé pour les compétitrices aux Jeux de Tokyo 2020. Actuellement, il est établi à 10 nanomoles par litre. Il pourrait être réduit de moitié.