L’haltérophilie n’avait pas besoin d’une telle publicité. Plombée par les affaires de dopage, la discipline doit faire face depuis dimanche 5 janvier à un nouveau scandale. Il touche sa fédération internationale (IWF). Avec, dans l’un des rôles principaux, son président depuis vingt ans, le Hongrois Tamas Ajan (photo ci-dessous).
La chaîne de télévision allemande ARD, après avoir révélé le dopage d’état en Russie à l’époque des Jeux d’hiver de Sotchi, a mené l’enquête dans le milieu de l’haltérophilie. Le résultat, un documentaire diffusé dimanche 5 janvier, intitulé « Secret Doping – the Lord of the Lifters », laisse perplexe.
Premier dossier, le plus attendu : le dopage. Pas de grande surprise, mais la confirmation d’un système rogné jusqu’à l’os par la tricherie et les arrangements.
L’équipe d’enquêteurs de l’ARD a épluché 16.000 contrôles antidopage sur une période de 10 ans, jusqu’en 2018. Résultat : sur 453 médaillés mondiaux et olympiques entre 2008 et 2017, près de la moitié (204) n’ont pas subi un seul test hors compétition, au cours de l’année où ces athlètes sont montés sur le podium.
Plus troublant : le médecin de la Fédération moldave d’haltérophilie, Dorin Balmus, a expliqué avec chiffres et détails en caméra cachée comment les échantillons d’urine ont été régulièrement manipulés. Selon lui, il est possible d’acheter un échantillon propre pour seulement 60 dollars au niveau national, et 200 dollars au niveau international.
Le médecin moldave explique également que les haltérophiles de son pays étaient régulièrement contrôlés par l’agence hongroise antidopage. En échange d’une enveloppe, les contrôleurs acceptaient de ne pas regarder de trop près le passeport des athlètes testés et de repartir avec un échantillon présumé propre.
Le documentaire de la chaîne allemande suggère que le dopage serait tellement répandu en Thaïlande, l’un des pays actuellement écartés des compétitions internationales, qu’il touche des jeunes filles âgées de seulement 13 ans.
Autre sujet : la corruption. L’ARD a interrogé deux des adversaires politiques de Tamas Ajan, Christian Baumgartner, le président de la Fédération allemande, et l’Italien Antonio Urso, le président de la Fédération européenne.
Selon le premier, écarté du comité exécutif de l’IWF lors des dernières élections en 2017, où Tamas Ajan a rempilé pour un cinquième mandat, le dirigeant hongrois a installé à l’IWF une « culture de la corruption ».
Le documentaire de l’ARD révèle que cinq millions de dollars versés à l’IWF par le CIO, au titre de la redistribution aux fédérations internationales d’une partie des recettes du marketing et des droits de télévision des Jeux, auraient été transférés sur deux comptes en Suisse. Précision : Tamas Ajan, qui fêtera le 12 janvier ses 81 ans, en est le seul signataire. Les cinq millions détournés ne figurent pas sur les livres de comptes de l’IWF.
L’Italien Antonio Urso, battu par Tamas Ajan en 2017 pour la présidence de l’IWF, explique avoir alerté le CIO des suspicions de fraudes et corruption. Mais il s’est vu répondre par l’organisation olympique qu’il s’agissait d’une « affaire interne » à l’haltérophilie.
En juin 2017, le CIO a placé l’haltérophilie et sa fédération internationale sous surveillance. Il a été demandé à l’IWF de présenter un plan de réformes rigoureux et convaincant, sous peine de voir la discipline écartée du programme des Jeux.
L’IWF a planché sur une nouvelle politique en matière de lutte antidopage. Elle a exclu les pays ayant présenté le plus grand nombre de cas positifs au cours des dernières olympiades. Elle a confié les clefs de la lutte antidopage à l’Autorité de contrôle indépendante (ITA), présidée par la Française Valérie Fourneyron.
Le CIO a semblé convaincu. Au printemps 2019, sa commission exécutive a levé sa menace d’exclusion et confirmé la présence de la discipline aux Jeux de Paris 2024.
Les révélations de la chaîne allemande conduiront-elles Thomas Bach à revoir la position du CIO ? Possible. La commission exécutive doit se réunir cette semaine à Lausanne (8 et 9 janvier), avant une session de l’institution olympique, vendredi 10 janvier, au lendemain de l’ouverture des Jeux d’hiver de la Jeunesse. La situation de l’haltérophilie ne figurait pas à l’ordre du jour. Elle sera certainement discutée.