Le sujet n’est pas inédit. Il revient comme un refrain à chaque édition des Jeux, hiver comme été. Le français, langue officielle du CIO, est-il menacé dans l’univers olympique ?
A moins de 200 jours des Jeux de Tokyo 2020, où le japonais et l’anglais devraient une nouvelle fois laisser les miettes à la langue de Pierre de Coubertin, FrancsJeux pose une nouvelle fois la question. Pour y répondre, un expert : Ivan Coste-Manière, le vice-président de l’Association francophone des académies olympiques.
FrancsJeux : La place de la langue française est-elle en recul dans le mouvement olympique international ?
Ivan Coste-Manière : Certainement. Les Jeux de Rio ont constitué sur cette question un véritable coup de semonce. Michaëlle Jean, qui occupait à l’époque le poste de Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), a constaté elle-même en se rendant sur place que le français était très peu présent, notamment pour la signalétique. Les Brésiliens avaient brandi l’argument économique. Le pays a traversé une grave crise, également politique, les organisateurs ont eu du mal à boucler leur budget. Dans un tel contexte, assurer la place du français n’était pas leur priorité.
Au-delà des Jeux de Rio 2016, comment expliquer un tel recul ?
Le français est langue officielle du mouvement olympique. En cas de litige, il domine même l’anglais. Mais maintenir sa présence et son influence aux Jeux passe par une volonté politique forte. La francophonie est aujourd’hui pilotée par la France, mais elle la défend avec mollesse. Bien sûr, il existe des programmes, notamment pour la mise à disposition du comité d’organisation des traducteurs et interprètes francophones. Mais ces programmes restent assez discrets. L’OIF n’est pas seule en cause. Au ministère français des Affaires étrangères, rien n’est fait pour défendre la place du français dans le mouvement olympique.
Cette tendance est-elle inéluctable ?
Je ne crois pas. Je reste optimiste. Aussi longtemps que le mouvement olympique, le CIO en priorité, se montrera respectueux des rites et de l’histoire, le français ne disparaîtra pas. La flamme olympique, l’ordre de passage des délégations à la cérémonie d’ouverture, sont autant de rites hérités de Pierre de Coubertin. Maintenir tout cela aux Jeux n’est pas incompatible avec l’évolution du mouvement sportif international vers une approche toujours plus commerciale. Le business à l’américaine et les rites à la française peuvent parfaitement cohabiter.
Est-il vraiment très important de maintenir le français aux Jeux ?
Au-delà du seul cas de la langue français, il est très important de maintenir le plurilinguisme dans le mouvement olympique. Dans le cas contraire, nous basculerions vers une pensée unique, incarnée par une langue unique, l’anglais. Le plurilinguisme doit être défendu, sinon il sera difficile de faire cohabiter une mixité de points de vue et de cultures dans l’univers olympique.
Le CIO y contribue-t-il ?
Au CIO, l’élection de l’Américain Avery Brundage au début des années 50 a amorcé une bascule. Depuis, l’institution s’est américanisée à la vitesse de la lumière. Plus tard, les Jeux d’Atlanta en 1996 ont encore accentué le phénomène. Mais la francophonie n’est pas absente au CIO, loin de là. La Marocaine Nawal El Moutawakel, qui en a été vice-présidente (et vient de réintégrer la commission exécutive, ndlr), incarne actuellement l’influence francophone au sein de l’institution. Le CIO possède tout le poids et les moyens pour maintenir cette pluralité. Mais la présence concrète de la langue française aux Jeux est surtout une affaire de négociation avec le comité d’organisation. Assurer la place du français fait partie de son cahier des charges, mais dans les faits cela reste un rapport de forces.
Dans l’espace francophone, certains pays se distinguent-ils par leurs initiatives pour défendre la place du français au sein du mouvement olympique ?
J’en citerai trois, tous africains : le Cameroun, le Sénégal et le Togo. Leurs moyens sont réduits, mais leurs académies olympiques se révèlent très actives. Au Togo, notamment, les actions et les initiatives pour parler des valeurs de Coubertin sont quasiment hebdomadaires.
Les Jeux de Paris 2024 pourront-ils inverser la tendance ?
Je le crois. Paris 2024 constitue une occasion unique, disons même historique, de remettre la langue française en bonne place au sein du mouvement olympique. Cette occasion ne doit pas être manquée, sinon tout sera perdu. Mais j’ai le sentiment que le COJO fait ce qu’il faut. L’équipe de Paris 2024 aborde les choses par le biais de l’héritage. C’est la bonne manière. Les valeurs de l’olympisme sont enseignées à l’école, ce qui constitue un vrai progrès. Dans le même temps, le délégué interministériel, Jean Castex, travaille avec l’Education Nationale. Jusque-là, la démarche me semble aller dans le bon sens. Elle s’inscrit dans la ligne directrice du programme d’héritage des Jeux de 2024.