A 69 ans, Guy Drut s’est glissé sans retenue dans la tenue de « l’ancien », au sein du comité d’organisation des Jeux de Paris 2024. Membre du CIO depuis près d’un quart de siècle, le champion olympique du 110 m haies occupe un rôle de conseiller. Il lui va comme un gant.
Parmi ses missions, un projet aux allures de course de fond : faire entrer l’esprit olympique au patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO. Pas simple. A moins de cinq ans des Jeux de 2024, au moment où le COJO doit convaincre les grandes entreprises françaises de s’engager dans l’aventure, l’initiative peut sembler secondaire, voire superflue. A ses yeux, elle est tout sauf anecdotique. Il l’a expliqué à FrancsJeux.
FrancsJeux : Où en êtes-vous du processus de reconnaissance de l’esprit olympique par l’UNESCO ?
Guy Drut : La première étape est franchie : l’esprit olympique est entré au patrimoine immatériel français. Maintenant, nous devons passer à l’étape suivante, le faire reconnaître sur le plan mondial. Pour cela, la candidature doit être portée par plusieurs pays. Nous avons avec nous la Grèce, évidemment, le Sénégal, la Jordanie et le Luxembourg. Chacun de ces pays doit mener une démarche nationale. Nous devrons ensuite présenter en rapport, en mars 2021, pour une décision qui pourrait intervenir entre la fin de l’année 2021, au plus tôt, et la fin de l’année 2022. La procédure est longue, mais nous sommes dans les clous.
Etes-vous à l’origine de cette initiative ?
L’idée a été développée au départ avec Sophie Lorant (la directrice des relations internationales du COJO Paris 2024), pendant la phase de candidature. Nous l’avons proposée au directeur de l’UNESCO France. Il l’a accueillie avec enthousiasme. Nous avons ensuite parlé de notre initiative à Emmanuel Macron et à Thomas Bach. L’un et l’autre nous ont donné leur feu vert. Un comité de pilotage a été mis en place, dont j’assure la présidence. L’UNESCO France en fait partie, tout comme le CNOSF et plusieurs ministères français, dont les Sports et les Affaires étrangères.
Concrètement, à quoi servirait que l’esprit olympique entre au patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO ?
C’est une reconnaissance internationale. Mais elle dépasse largement la seule organisation des Jeux olympiques. Elle embrasse l’olympisme et tout ce qui l’entoure : les valeurs d’éducation, de paix, de solidarité, le respect et le vivre ensemble. Les Jeux olympiques ne peuvent pas être réduits à une juxtaposition de championnats du monde. Il faut regarder au-delà, élargir le cadre pour voir ce que le CIO et l’olympisme peuvent apporter pour le développement de la paix, pour l’éducation, le développement durable…
Votre démarche intervient au moment où le sport en général, le mouvement olympique en particulier, sont secoués par une succession d’affaires de dopage ou de corruption. N’est-ce pas incompatible ?
Au contraire. Une reconnaissance internationale permettra de préserver l’esprit olympique. Les affaires qui agitent le mouvement olympique constituent une menace. Il était grand temps de lancer une telle initiative. Nous aurions même dû le faire plus tôt. Je me sens un peu coupable, même si je ne suis pas le seul en cause, d’avoir autant attendu.
Qu’en pense Thomas Bach ?
Il est complètement d’accord. Il est à fond derrière nous. Dans ses discours et ses interventions, Thomas Bach insiste régulièrement sur l’importance de dépasser la seule compétition et l’envie d’aller chercher une médaille.
Aujourd’hui, quel rôle occupez-vous au COJO Paris 2024 ?
J’avais une valeur ajoutée pendant la candidature, grâce à mon expérience et ma connaissance des membres du CIO. Aujourd’hui, je ne peux avoir qu’un rôle de conseil dans l’organisation, notamment pour faire en sorte que les anneaux soient toujours au milieu du stade. Je n’ai pas de compétences particulières en termes d’organisation, sinon mon vécu et mon expérience.
Vous leur donnez quels genres de conseils ?
J’essaye d’être attentif à ce que l’équipe ne tienne pas seulement compte des aspects techniques du sport. Ils sont importants, bien sûr, mais les Jeux ne doivent pas devenir une succession de championnats du monde. Les athlètes doivent tous pouvoir vivre l’expérience olympique de l’intérieur.
C’est un rôle important ?
Je le crois. L’équipe d’organisation est jeune, personne n’a eu la moindre expérience d’une telle entreprise. Rien ne sera simple, surtout pour tenir un budget de 3,8 milliards d’euros, sans le moindre dépassement. Dans un pays comme la France, il ne sera pas possible de réussir sans maintenir jusqu’au bout une relation de confiance entre le COJO, le mouvement sportif et les partenaires publics. L’osmose doit être parfaite. Elle l’a été pendant la candidature, elle doit le rester.