Le CIO lui a définitivement fermé la porte des Jeux de Paris 2024, mais l’e-sport continue à occuper les travaux et les réflexions du mouvement olympique.
Un groupe de liaison sur l’e-sport et les jeux vidéo a été missionné l’an passé pour plancher sur la question. Il a tenu ses deux premières réunions et présenté un rapport à la session du CIO, en début de mois à Lausanne.
A sa tête, David Lappartient (photo ci-dessous), président de l’Union cycliste internationale (UCI). Le dirigeant français a expliqué à FrancsJeux la stratégie du CIO sur l’e-sport et ses réflexions.
FrancsJeux : L’arrivée de l’e-sport aux Jeux olympiques, dans un avenir proche, est-elle toujours d’actualité pour le CIO ?
David Lappartient : Une ligne a été fixée par le CIO, elle est claire : l’e-sport et le gaming ne seront pas présents aux Jeux olympiques, nous ne reconnaissons pas une fédération ou une organisation internationale qui les gouvernent, et enfin nous ne reconnaissons pas l’e-sport et le gaming en tant que sports. Pour autant, nous pensons qu’il existe une foule d’opportunités à étudier avec cet univers des jeux et sports électroniques. Nous pensons aussi qu’il est possible de créer des liens avec les Jeux olympiques. Dans le cas du cyclisme, par exemple, la réalité virtuelle permet de reproduire chez soi les conditions d’une course. Avec la technologie, le passionné peut ainsi participer à sa manière aux Jeux. Thomas Bach l’a dit et répété : le mouvement olympique doit établir une stratégie dans le domaine de l’e-sport.
Thomas Bach semble également très attaché à établir des distinctions entre les différentes catégories de l’e-sport…
Tout à fait. Nous distinguons deux catégories. La première est le sport virtuel. Au Tour de Suisse cycliste, cette année, la première étape sera disputée en virtuel, avec l’application Zwift. La deuxième catégorie regroupe les jeux électroniques. Certains d’entre eux, comme FIFA, s’appuient sur des sports olympiques. Mais la majorité de l’audience se situe aujourd’hui ailleurs. Elle se concentre sur les jeux non sportifs, comme Fortnite ou League of Legends. Thomas Bach propose une approche à deux vitesses. Dans un premier temps, se concentrer sur le sport virtuel, car il s’appuie sur une pratique sportive. Il sera ensuite temps d’engager une stratégie sur les jeux électroniques.
A la différence du sport traditionnel, l’e-sport n’est pas une affaire de fédérations nationales ou internationales. Etes-vous prêts à dialoguer avec des éditeurs privés qui en détiennent les droits ?
Bien sûr. A l’UCI, nous avons signé un partenariat avec Zwift. Nous aurons, en 2020, les premiers championnats du monde de cyclisme virtuel. Cela constitue vraie nouveauté. Cet univers va rapidement se structurer, avec des championnats nationaux et continentaux. Thomas Bach souhaite que les fédérations internationales s’interrogent sur la version virtuelle de leur sport : comment la mettre en oeuvre, comment la réguler et la développer.
Toutes les disciplines sont-elles adaptées au sport virtuel ?
Non, mais elles sont plus nombreuses qu’on le croit à s’engager dans cette direction. Un chiffre le prouve : 75% des fédérations internationales ont défini une stratégie ou envisagent de le faire. Mais elles sont aussi 85% à n’avoir aujourd’hui aucune règle en ce qui concerne le sport virtuel. La volonté est là, c’est certain, mais le pas est encore rarement franchi.
En laissant l’e-sport à la porte des Jeux olympiques, ne risquez-vous pas de vous priver de la clientèle des jeunes, dont le mouvement olympique a grand besoin ?
Les jeunes jouent aux jeux vidéo, nous ne l’ignorons pas. Ils sont même 75% à s’y adonner chez les 12-17 ans. Mais les compétiteurs ne sont pas aussi nombreux au sein de cette population. Sur les 2,2 milliards de personnes adeptes des jeux vidéo, seulement 150 millions participent à des tournois. Aux Jeux de la Jeunesse de Lausanne 2020, les compétiteurs étaient nombreux à jouer aux jeux vidéo. Les deux activités ne sont pas incompatibles. Nous pensons qu’un athlète qui pratique l’e-sport ou le gaming a besoin d’un certain équilibre. Il a besoin d’une activité physique pour son bien-être. Pour cela, il faut l’inciter à se tourner vers le sport réel, voire à réguler cette activité. En Chine, il existe des heures limites pour se connecter, en fonction de l’âge des joueurs.
Est-il envisageable de voir émerger dans un avenir plus ou moins proche des Jeux olympiques dédiés aux sports virtuels ?
Cette question est débattue. Elle est encore à discuter. Il est trop tôt pour apporter une réponse. Le mouvement olympique doit s’adapter à son environnement, mais avec la volonté de partager ses valeurs. Les Jeux asiatiques ont intégré des démonstrations d’e-sport, les Jeux panaméricains en prennent eux aussi le chemin.
L’e-sport ne sera pas présent aux Jeux de Paris 2024, mais pourrait-il faire son entrée aux Jeux de Los Angeles 2028 ?
Il reviendra au CIO de décider, mais il est certain que les choses évoluent de plus en plus rapidement. Le sport virtuel est aujourd’hui de plus en plus proche du sport réel. Nous en sommes à un point d’étape dans notre réflexion, mais le champ des opportunités s’annonce très vaste.