Guy Drut n’a jamais eu peur des mots. Il les aime tranchants. Il les manie avec des manières de gladiateur. Le CIO en a l’habitude, le COJO Paris 2024 également.
Il n’empêche, la dernière sortie du champion olympique du 110 m haies en a surpris plus d’un, y compris parmi les plus rompus à ses envolée verbales. En plein confinement, Guy Drut a pris sa plume pour rédiger une tribune publiée dimanche 26 avril sur le site Internet de France Info.
Guy Drut amorce son propos par quelques généralités sur la situation exceptionnelle créée dans le mouvement olympique par la pandémie de coronavirus. « Les Jeux olympiques doivent se réinventer, reconnaît-il. Mais la réponse à cette crise peut-elle se traduire par le seul report de dates, sans que le modèle, tant économique qu’organisationnel, des Jeux soit également profondément repensé ? » Jusque-là, rien de très nouveau.
Mais la suite emprunte une voie moins conventionnelle. « Le beau projet que nous avons construit et porté en phase de candidature pour Paris 2024 est aujourd’hui obsolète, dépassé, déconnecté de la réalité », suggère le plus ancien membre français du CIO. Il poursuit : « Il n’est plus en phase avec le réel. Si dans son esprit, il doit rester inchangé, il nous faut revoir ses moyens, et nous recentrer sur l’essentiel. La première nécessité, c’est ainsi de faire une réévaluation budgétaire de ce que vont coûter les JO de Paris 2024. »
Plus loin, Guy Drut sort de ses poches quelques idées pour « repenser » le modèle des Jeux. Il propose de « sanctuariser » certaines épreuves sur un seul et même site, édition après édition, afin de ne pas avoir à reconstruire tous les quatre ans un équipement à l’héritage incertain. Le surf, par exemple, une discipline qui pourrait s’installer à demeure « à Tahiti ou à Hawaï. »
Guy Drut propose également de limiter le nombre de sports additionnels au programme. Enfin, il annonce la tenue d’une réunion prochaine, « d’ici quelques semaines », entre le CIO et les comités d’organisation des prochains Jeux olympiques (Tokyo, Pékin, Paris, Milan, Los Angeles). « L’objectif de cette rencontre sera – dans la droite ligne de « l’Agenda 2020″ qui avait déjà posé les bases du changement – d’explorer de nouvelles pistes, de penser utile, sobre, et responsable », avance le dirigeant français.
Au COJO Paris 2024, la sortie médiatique de Guy Drut a eu l’effet d’un coup d’épée dans le dos. Selon nos informations, l’ancien hurdler n’avait prévenu personne, au sein du comité d’organisation, de son intention de publier une tribune et de la nature des propos.
« Il a fait du Guy Drut », glisse-t-on au COJO, suggérant que le champion olympique aurait agi ainsi pour exprimer son sentiment d’être « écarté » et « sous-utilisé » par l’équipe de direction. Depuis l’attribution à Paris des Jeux de 2024, Guy Drut occupe au COJO la fonction de conseiller stratégique de Tony Estanguet, le président. Le rôle ne lui déplaît pas. Mais il souhaiterait, à l’évidence, lui donner plus de densité.
Sur le fond comme sur la forme, la prise de position exprimée dimanche 26 avril par Guy Drut pose question. Certes, la crise du coronavirus laisse planer un sérieux doute sur l’organisation future des événements sportifs majeurs à l’échelle planétaire. Et le COJO Paris 2024 ne pourra sans doute pas faire l’économie d’une nouvelle évaluation de son budget, à l’aune de la donne économique de l’après-confinement.
Mais le modèle proposé par Paris 2024, construit sur des coûts maîtrisés, une utilisation massive de sites existantes ou temporaires, un héritage durable et une certaine souplesse dans son dispositif, semble de taille à surmonter la crise actuelle. Il ne mérite pas d’être qualifié « d’obsolète, dépassé et déconnecté de la réalité », surtout à plus de quatre ans des Jeux.
Guy Drut suggère de sanctuariser certaines épreuves, comme le surf ou le canoë-kayak slalom. L’idée n’est pas nouvelle. Elle n’a jamais séduit le CIO. Surtout, il est paradoxal d’entendre le dirigeant français proposer d’attribuer à Tahiti le surf pour l’éternité, quelques mois seulement après avoir été le seul membre du conseil d’administration du COJO Paris 2024 à s’abstenir de voter en faveur de l’île polynésienne comme site des épreuves olympiques.
Quelques heures après la publication de sa tribune, Guy Drut a répondu depuis son domicile aux questions de BFM TV. Peu à l’aise, il a tenté un délicat rétropédalage, expliquant que son propos ne visait pas seulement Paris 2024, mais « l’ensemble de l’organisation des Jeux. »
Puis, reprenant à son compte les déclarations récentes de John Coates, il a insisté sur l’importance d’éliminer désormais le « superflu », pour se concentrer sur « l’utile et le nécessaire. » Interrogé sur sa définition du superflu aux Jeux olympiques, Guy Drut a répondu en citant à plusieurs reprises « tout le décorum », mais sans préciser ce qu’il entendait par décorum.
Guy Drut a fait du Guy Drut, dit-on au COJO Paris 2024. Sans doute. Mais, cette fois, personne ne semble beaucoup s’en amuser.