Les athlètes sont-ils les grands perdants du jeu olympique ? Devraient-ils recevoir une meilleure part du gâteau ? Le débat n’est pas nouveau, mais la question s’invite de plus en plus souvent dans le mouvement sportif international.
Contraint par une décision de justice d’un tribunal allemand, le CIO a assoupli l’an passé la règle 40 de la Charte olympique sur les droits commerciaux des athlètes pendant la période des Jeux. Une première brèche. Depuis, les plus militants ne cessent de réclamer une meilleure répartition des recettes.
Face à la fronde, le CIO campe sur ses positions. L’institution prône la solidarité. Elle insiste sur les vertus d’un système où les moins fortunés ne restent pas à la traîne.
Pour Lana Haddad (photo ci-dessous), la nouvelle directrice des opérations du CIO, le modèle actuel de répartition des revenus est « plus important que jamais », dans cette période de crise sanitaire et d’incertitude économique. La Britannique d’origine irakienne l’explique dans une tribune publiée en exclusivité par FrancsJeux dans sa version francophone.
« Beaucoup a été écrit ces derniers temps à propos des finances du Comité International Olympique (CIO). Certains de ces commentaires révèlent une profonde incompréhension de l’institution mondiale et de sa mission.
Le CIO est une organisation à but non lucratif, fondée sur des valeurs, qui se consacre à l’édification d’un monde meilleur par le sport. Il le fait par le biais des Jeux Olympiques, qui sont le seul événement qui rassemble le monde entier dans un esprit de compétition pacifique. Le CIO utilise ses recettes pour soutenir le développement à long terme des athlètes et du sport dans le monde entier – de la base au sommet de la pyramide – et au profit de tous ceux qui pratiquent le sport : enfants, sportifs juniors, sportifs débutants, athlètes amateurs, athlètes d’élite, athlètes professionnels et athlètes paralympiques. Tous en bénéficient d’une manière ou d’une autre.
La Solidarité au sens le plus large du terme
Toute la structure du Mouvement olympique est construite sur le modèle de la solidarité dans son sens le plus large, et repose sur le partage des revenus. Le CIO redistribue 90 % de ses revenus, soit 5 milliards de dollars (USD) au cours de la dernière Olympiade ou l’équivalent de 3,4 millions de dollars par jour. Ces investissements sont destinés à soutenir les hôtes des Jeux Olympiques (2,5 milliards de dollars lors de la dernière Olympiade) ainsi que le développement des athlètes et du sport à tous les niveaux dans le monde entier.
Grâce à ce modèle de financement, le CIO soutient directement 40 sports olympiques et leurs Fédérations Internationales (FI) respectives et autres organisations sportives dans le monde entier, ainsi que 206 Comités Nationaux Olympiques (CNO), par l’intermédiaire desquels il verse des subventions aux équipes et des bourses individuelles destinées aux athlètes.
Car après tout, même les champions olympiques doivent bien commencer quelque part. C’est particulièrement important dans les pays où d’autres impératifs font que l’investissement dans le sport n’est peut-être pas une priorité. Dans certains pays, les CNO et les fédérations sportives nationales comptent presque uniquement sur le soutien du CIO, sans lequel ils auraient bien du mal à développer le sport ou à préparer des athlètes et à les envoyer à des compétitions internationales.
Des Jeux Olympiques organisés selon un modèle commercial à but lucratif seraient bien différents
Ce modèle de solidarité fondé sur des valeurs et sans but lucratif n’est pas du tout comparable au modèle commercial à but lucratif des ligues professionnelles. La génération et la distribution de leurs revenus sont basées sur la maximisation des rendements, et profitent généralement à un seul sport dans un seul pays. Ce n’est nullement une critique de ces modèles, mais nous devons reconnaître que c’est simplement une voie très différente.
Imaginez si le CIO devait organiser les Jeux Olympiques selon un modèle commercial à but lucratif. L’événement serait alors limité aux sports qui génèrent les revenus les plus importants, et il ne rassemblerait pas les athlètes et équipes de 206 pays et territoires. Ce ne serait plus les Jeux Olympiques tels que nous les connaissons. Pourtant, c’est précisément l’extraordinaire éventail de sports et la diversité d’origine des athlètes qui distinguent les Jeux Olympiques des autres événements et qui font leur formidable succès. Les Jeux Olympiques sont le seul événement qui rassemble la planète entière dans une compétition pacifique.
Les athlètes font partie d’une équipe, et les équipes participent au succès commercial des Jeux
Il convient également de rappeler que les athlètes participent aux Jeux Olympiques en tant que membres d’une équipe, d’une délégation : celle de leur CNO. Et comme un bienfait n’est jamais perdu, ce sont ces équipes qui participent au succès commercial des Jeux. Par conséquent, en soutenant les CNO et les FI, le CIO soutient les athlètes.
Ce modèle, qui fait partie de l’ADN du Mouvement olympique, a été clairement plébiscité lors du Forum international des athlètes qui s’est tenu à Lausanne en avril de l’année dernière. Parmi les principales recommandations des athlètes, un appel explicite à consolider le modèle de financement solidaire a été lancé.
Le Forum international des athlètes a également formulé la recommandation, reprise et appuyée par le Sommet olympique de décembre 2019, selon laquelle les FI et les CNO devraient montrer en toute transparence comment ils soutiennent leurs athlètes, à la fois directement et indirectement, à travers leurs efforts en matière de lutte contre le dopage, l’assistance médicale, la prévention du harcèlement et des abus, le suivi de carrière et le mentorat.
La négociation collective reviendrait à dresser les athlètes et les sports les uns contre les autres
Le CIO veut soutenir les athlètes, par le biais du système existant, au mieux de ses capacités. Les athlètes sont au cœur de tout ce qu’entreprend le CIO. Mais les athlètes ne sont pas employés par le CIO et ne devraient pas être considérés comme des travailleurs au même titre qu’ils le sont dans les ligues professionnelles. C’est pourquoi les appels renouvelés récemment en faveur de paiements directs aux athlètes sont inquiétants. Si le CIO devait procéder ainsi, il en résulterait une inégalité accrue et cela profiterait à un moins grand nombre.
Le modèle non lucratif fait que le CIO n’est pas en mesure de rémunérer directement les athlètes. Mais imaginons que le CIO puisse le faire et qu’il entame des négociations collectives afin de rémunérer les athlètes pour leur participation aux Jeux. Il faudrait pour cela calculer la proposition de valeur commerciale de chaque athlète, de chaque équipe et de chaque sport. Ce ne serait pas un calcul simple : le CIO ne pourrait pas juste diviser X millions de dollars par 11 000 athlètes pour les Jeux Olympiques d’été et par 3 000 athlètes pour les Jeux Olympiques d’hiver. Prenez les ligues et les clubs professionnels : la valeur de chaque équipe et de chaque athlète n’est pas la même, et ils sont tous rémunérés différemment.
Brusquement, les athlètes qualifiés pour les Jeux Olympiques seraient opposés à ceux qui ne se sont pas qualifiés ; les athlètes qui concourent dans un sport seraient opposés à ceux qui concourent dans un autre sport ; les compétiteurs d’aujourd’hui seraient opposés aux athlètes des générations passées et futures. Si certains athlètes obtenaient plus, d’autres obtiendraient moins.
Cela n’est pas du tout conforme à la mission du CIO et ne représente pas les valeurs olympiques. Le modèle de solidarité serait rompu. La majorité des athlètes n’en bénéficierait pas.
Qui plus est, en raison de la réaffectation des fonds, les initiatives mondiales en faveur du développement du sport, comme l’équipe olympique des réfugiés constituée par le CIO, en souffriraient. Le CIO ne serait pas en mesure de maintenir son niveau actuel de soutien à l’organisation des Jeux Olympiques, lesquels offrent aux olympiens une plateforme pour montrer leurs performances devant une audience médiatique mondiale. Il serait peu probable que les athlètes bénéficient du même niveau de services élémentaires tels que la gratuité des transports, des repas, de l’hébergement et des installations médicales aux Jeux Olympiques, pour ne citer que quelques exemples.
Concernant les événements internationaux autres que les Jeux Olympiques, de nombreux athlètes devraient largement puiser dans leurs propres économies pour pouvoir se rendre aux championnats et couvrir leurs dépenses courantes.
Ceux qui en souffriraient le plus seraient les athlètes des pays en développement, et aussi beaucoup de ceux des pays développés.
En revanche, le modèle de partage des recettes olympiques garantit que tous les sports olympiques et toutes les équipes olympiques, de tous les pays, peuvent en bénéficier. C’est pourquoi nous l’appelons le modèle de solidarité et nous continuerons à le défendre.
Le modèle de solidarité est plus important que jamais dans cette crise sans précédent
Et maintenant que le monde est confronté à une crise sans précédent, ce modèle et le rôle du CIO sont plus importants que jamais. Les FI et les CNO se tournent vers le CIO pour obtenir de l’aide. Sans le cadre de gestion des risques mis en place au cours des dernières décennies pour constituer des réserves et garantir la sécurité et l’indépendance financières du CIO, ce dernier ne serait pas en mesure d’assurer la survie des parties prenantes du Mouvement olympique et, à travers elles, d’offrir une assistance continue aux athlètes.
Le CIO ne fera pas le choix de définir ce soutien aux athlètes sur la base d’une froide analyse coûts-bénéfices, dressant les athlètes les uns contre les autres et les sports les uns contre les autres. Le CIO est solidaire de tous les athlètes et de tous les sports. »