Richard McLaren a encore frappé. Le juriste canadien, passé à la postérité pour un rapport sur le dopage dans le sport russe dont le pays ne se remet toujours pas, a été missionné en janvier dernier par la Fédération internationale d’haltérophilie (IWF) pour se plonger dans ses comptes et renifler les mauvaises odeurs. Le résultat de son enquête vient d’être publié. Il laisse sans voix.
Le dopage, d’abord. Richard McLaren et son équipe ont épluché les documents internes à l’IWF sur une période de 10 ans, entre 2009 et 2019. Ils ont découvert que l’instance internationale, alors présidée par le Hongrois Tamas Ajan, avait caché 40 contrôles positifs d’haltérophiles internationaux. Plusieurs d’entre eux ont ainsi pu continuer leur carrière sans être inquiétés, remportant même des médailles aux championnats du monde.
« Des preuves montrent que le président (Tamas Ajan) a interféré dans le travail de la commission antidopage indépendante de l’IWF, révèle le rapport. L’enquête a mis au grand jour 40 contrôles positifs dissimulés dans ses dossiers. »
Précision : les cas de dopage dissimulés par l’IWF n’affecteraient aucune épreuve olympique. Tous les éléments découverts par l’enquête menée par Richard McLaren ont été transmis à l’Agence mondiale antidopage (AMA).
La gouvernance, maintenant. Le rapport pointe un nom, présent à tous les chapitres : Tamas Ajan (photo ci-dessous).
Le dirigeant hongrois, président de la Fédération internationale d’haltérophilie pendant 20 ans, ancien membre du CIO, a été contraint l’an passé de se mettre en retrait, après les révélations accablantes d’un documentaire de la chaîne allemande ARD sur la culture du dopage et de la corruption dans sa discipline. En avril dernier, il a fini par donner sa démission.
Mais le rapport de Richard McLaren en dit long sur les méthodes employées par Tamas Ajan pour conserver le pouvoir à l’IWF et profiter sans retenue de sa position présidentielle. « Nous avons mis en évidence des failles de gouvernance systématiques et une corruption au plus haut niveau », insiste le juriste canadien.
Tamas Ajan ne se contentait pas de diriger l’haltérophilie mondiale de façon « autocratique ». Il exerçait « une tyrannie de l’argent » pour son compte personnel. Le rapport prévient : « Il est absolument impossible de déterminer quelle part de l’argent collecté ou retiré a été utilisé pour des dépenses légitimes ».
Seule certitude : plus de 10 millions de dollars ont disparu des radars. Ils sont introuvables dans les comptes officiels de l’instance internationale.
Le rapport McLaren pointe notamment un paiement de 500.000 dollars effectué par l’Azerbaïdjan au bénéfice de l’IWF. A qui ? Pourquoi ? Mystère. L’enquête révèle également que Tamas Ajan aurait reçu plus de 440.000 dollars, en 18 paiements en espèces, pendant un voyage en Thaïlande à l’occasion d’un congrès.
Enfin, Richard McLaren met en lumière une politique systématique d’achats de voix lors des élections pour la présidence et les postes clés au comité exécutif de l’IWF.
Tamas Ajan a été membre du CIO entre 2000 et 2010. Il a donc participé à plusieurs votes pour l’attribution des Jeux d’été et d’hiver. Il a rendu cette année sa carte de membre honoraire de l’instance olympique.
A l’IWF, la publication du rapport McLaren n’a sans doute pas surpris grand-monde. Mais la présidente par intérim, l’Américaine d’origine grecque Ursula Garza Papandrea, a prévenu : « Les activités qui ont été révélées et les comportements découverts au cours des dernières années sont absolument inacceptables, et peut-être même criminels. L’IWF se réserve la possibilité de transmettre ces éléments à la justice s’ils suggèrent des crimes potentiels. »
Au CIO, la publication du rapport McLaren a été accompagné d’un communiqué de presse. L’institution olympique qualifie ses conclusions de « profondément préoccupantes ». Elle assure « continuer à soutenir les efforts de l’IWF et de son président par intérim pour réformer en profondeur sa gouvernance et sa gestion. »
En 2010, une plainte avait été déposée au CIO sur des soupçons de malversations financières à la Fédération internationale d’haltérophilie. L’instance olympique l’avait classée sans suite.