Ils sont les victimes oubliées, dans l’univers sportif, de la pandémie de COVID-19. Oubliées et souvent silencieuses. Frappés de plein fouet par la suspension des compétitions, les arbitres et les juges sont à l’arrêt depuis plusieurs mois. Avec, pour certains d’entre eux, un sérieux manque à gagner sur le plan financier.
Comment le vivent-ils ? Quelle est leur situation ? Comment se présente l’avenir à court terme du corps arbitral ? Patrick Vajda, le président de la Fédération internationale des officiels sportifs (IFSO), a répondu aux questions de FrancsJeux.
FrancsJeux : Il a peu été question des juges et des arbitres de sport depuis le début de la pandémie de coronavirus. Quelle est la réalité de leur situation ?
Patrick Vajda : Le corps arbitral se découpe en trois catégories. La première, la plus visible, concerne les arbitres professionnels. Ils sont peu nombreux, environ 1 % des effectifs. Dans un certain nombre de pays, notamment en Europe, où les championnats de football ont été suspendus, ils ont été placés en chômage partiel. Ils ont touché une partie de leur salaire, mais ont été privés des primes qui constituent souvent une part importante de leurs revenus. Un arbitre professionnel de football peut toucher jusqu’à 80 à 110.000 euros par an. A l’opposé, les arbitres et juges amateurs, qui forment le gros des troupes, ont plutôt fait des économies depuis le début de la pandémie, car leur bénévolat leur coûte souvent de l’argent. Entre ces deux mondes, la catégorie intermédiaire concerne des arbitres dont l’activité constitue un revenu complémentaire, 12 à 15.000 euros par an pour certains, grâce à des indemnités qui peuvent aller de 20 à 500 euros par jour ou par match. Pour eux, la pandémie se chiffre en milliers d’euros perdus.
Plusieurs fédérations internationales, dont World Athletics, ont annoncé au cours des derniers mois la création de fonds de soutien au bénéfice des athlètes les plus affectés financièrement par la crise sanitaire. Les arbitres bénéficient-ils d’une aide comparable ?
Au niveau international, je n’en ai pas eu connaissance. Mais certaines fédérations sportives nationales ont fait un effort à destination de leurs juges et arbitres. La Fédération française de tennis (FFT), par exemple, a décidé de les aider.
Le CIO et les organisateurs japonais planchent actuellement sur un plan d’économies des Jeux de Tokyo, une version « simplifiée » de l’événement olympique et paralympique. Ces mesures d’économies vont-elles toucher les juges et arbitres ?
Je ne crois pas. Les économies ont déjà été faites. Et elles ont été draconiennes. Aux Jeux de Séoul en 1988, nous étions plus de 2.000 juges et arbitres officiels. Aujourd’hui, les effectifs sont passés sous la barre du millier. La cure d’amaigrissement a été sévère, il n’est plus réellement possible d’aller plus bas. Le nombre de juges et d’arbitres dépend du nombre d’athlètes aux Jeux. Sans diminution du nombre de compétiteurs, nos effectifs ne baisseront pas. Un arbitre doit être placé dans les meilleures conditions pour être performant. En limiter le nombre revient à courir le risque d’un jugement dégradé.
Quel est actuellement le dossier prioritaire de la Fédération internationale des officiels sportifs (IFSO) ?
La féminisation du corps arbitral. Nous y travaillons depuis plusieurs mois. La situation est réelle et elle est mondiale : nous manquons cruellement de juges et d’arbitres femmes. Le réservoir est très nettement insuffisant. Mais la féminisation est indispensable, car elle peut permettre la mixité du corps arbitral. Les femmes peuvent arbitrer les hommes, et les hommes arbitrer les femmes. Les femmes ont une manière d’arbitrer très différente des hommes, souvent meilleure. Pour le corps arbitral, la femme est l’avenir de l’homme.
Comment remédier à ce déséquilibre ?
Le processus s’annonce très long. Il faut rarement moins de 10 ans pour former un juge ou un arbitre. La réflexion a débuté, des décisions ont été prises depuis 2 ans. Mais elles n’aboutiront pas tout de suite. Dans le mouvement sportif, le CIO a montré l’exemple de la parité en amenant un nombre accru de femmes dans les instances. Mais trouver des femmes dirigeantes n’est pas aussi compliqué. Elles existent. Il faut leur faire confiance. Pour le corps arbitral, la féminisation ne dépend pas seulement d’une décision. Il faut former. Et, en même temps, changer les mentalités. Dans les fédérations, notamment internationales, les commissions des arbitres sont souvent exclusivement masculines. Mais le processus est en route. A l’IFSO, le Conseil est composé de 12 membres : 6 hommes et 6 femmes.