Thomas Bach peut dormir d’un sommeil paisible : il n’est pas encore venu le temps où les athlètes du monde entier lui réclameront de pouvoir poser un genou à terre sur la piste, lever un poing sur le podium, ou se pointer à la piscine habillé d’un peignoir affichant un slogan politique. Tous les signes le démontrent : les olympiens veulent pouvoir s’exprimer, mais en dehors de l’aire de jeu.
Dernier exemple en date : le Canada. A la demande de la commission des athlètes du CIO, le comité olympique canadien (COC) a sondé ses sportifs, actuels ou passés, sur l’opportunité de modifier ou abolir la règle 50 de la charte olympique. Pour rappel, elle précise dans son deuxième alinéa (le premier est consacré à l’interdiction publicitaire), « qu’aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. »
Au cours des derniers mois, la commission des athlètes du COC a lancé une vaste consultation auprès de ses membres. Elle a ratissé large. Surtout, elle a multiplié les outils de mesure : une sensibilisation individuelle des athlètes, un webinaire public, des questions et réponses à l’intention de toutes les équipes nationales, et enfin un sondage distribué à tous les olympiens canadiens.
Dans un pays souvent en pointe dans la revendication d’une plus grande expression du mouvement sportif, le résultat aurait pu être explosif. Il se révèle assez conservateur.
Certes, les athlètes canadiens ont listé une série de sept recommandations à soumettre au CIO. Mais elles portent pour l’essentiel sur une plus grande clarté dans les définitions. Que signifie réellement « démonstration » ? Quelle différence avec « manifestation » ? Où se situe la « propagande » ? Les athlètes canadiens veulent plus de précisions sur le cadre exact de la règle 50 de la charte olympique.
Mais, surprise, ils sont une immense majorité à souhaiter le maintien de cette règle, pourtant montrée du doigt depuis plusieurs mois par certaines organisations ou syndicats internationaux d’athlètes.
A l’image des Australiens, des Allemands et des Irlandais, dont les consultations ont déjà été rendues publiques, les Canadiens ne veulent pas toucher à l’aire de jeu. Ils veulent pouvoir s’exprimer dans le cadre des Jeux, mais en dehors des zones les plus sacralisées de l’univers olympique : le stade, le podium et la cérémonie d’ouverture.
Les résultats du sondage mené par la commission des athlètes du COC sont éloquents : 78,95 % des olympiens canadiens sont opposés à la possibilité de manifester une opinion sur le terrain de jeu, 60,71 % sont contre l’idée de le faire sur le podium, 58,93 % répondent ne pas vouloir toucher à la cérémonie de remise des médailles.
Plus de 50 ans après les Jeux de Mexico, les athlètes ne veulent pas revivre, comme acteurs ou témoins, les scènes des Américains levant un poing ganté sur le podium. Ils veulent pouvoir s’exprimer, mais seulement de façon encadrée. Le sondage publié par le COC révèle qu’ils sont 77,19 % à souhaiter pouvoir parler librement dans des zones spécifiques au village olympique, et 68,97 % à y être favorables en zone mixte.
Au moment où les joueurs de la NBA ont remplacé leurs noms sur les maillots par des mots ou des slogans pour la justice sociale, le mouvement olympique peut sembler frileux. L’ex-bosseur Philippe Marquis, membre de la commission des athlètes du COC, explique : « Nous voulons non seulement plus de clarté, mais aussi la possibilité pour les athlètes de faire entendre leurs voix sur tous les sujets. Mais il y a quelque chose de quasi unanime chez les athlètes canadiens : on veut protéger l’aire de jeu. C’est pourquoi il ne fait aucun sens d’abolir complètement la règle 50. Il est difficile de comparer les sports olympiques et professionnels. L’univers olympique fait intervenir plus de 200 pays à travers le monde, qui se trouvent dans des situations socioéconomiques et sociopolitiques très différentes de celles où on trouve le sport professionnel. »
La commission des athlètes du CIO doit soumettre son premier rapport à la commission exécutive de l’instance olympique au mois de décembre prochain. Elle devra ensuite présenter ses recommandations, au cours du premier trimestre 2021. Elles s’annoncent timides.