La pression s’accentue sur le CIO. A un peu plus de 220 jours de l’ouverture des Jeux de Tokyo, il doit faire face à une campagne pour l’abrogation, ou au moins un radical assouplissement, de la règle 50 de la charte olympique sur l’interdiction de manifester une opinion, notamment politique, dans le cadre des Jeux.
Sans grande surprise, la dernière offensive en date est américaine. Le Comité olympique et paralympique américain (USOPC) a annoncé, jeudi 10 décembre, sa décision de ne pas sanctionner ses athlètes s’il leur prenait l’envie de protester pacifiquement l’été prochain aux Jeux de Tokyo.
La décision de l’USOPC a été présentée en toutes lettres dans un courrier aux athlètes américains. Sa directrice exécutive, Sarah Hirshland, l’explique : « L’USOPC reconnaît que les athlètes de Team USA sont une source d’inspiration et d’unité dans le monde entier, et que leurs voix ont et seront une force de bien et de progrès dans notre société. Aux États-Unis, nous devons continuer à utiliser les plateformes dont nous disposons pour favoriser la discussion, l’éducation et l’action en faveur de la justice raciale et sociale. »
Dans les faits et les textes, la décision du comité olympique et paralympique américain ne modifie pas le cours de l’histoire. Sur le terrain des Jeux, la charte olympique fait force de loi. Il revient donc au CIO, et non pas à l’USOPC, de décider d’une sanction en cas de violation de ses règles. En exprimant une opinion, politique, religieuse ou raciale, l’an prochain aux Jeux de Tokyo, les athlètes américains ne seraient certes pas renvoyés illico à la maison par leurs dirigeants olympiques. Mais le CIO pourrait se charger de leur indiquer la sortie.
Il n’empêche, la décision de l’USOPC marque un changement de direction. L’instance nationale n’a pas toujours estimé que l’opinion de ses athlètes devait être exposée aux yeux du monde sur le terrain sportif. Aux Jeux Panaméricains 2019 à Lima, elle avait sanctionné deux membres de la délégation américaine – la lanceuse de marteau Gwen Berry et l’escrimeur Race Imboden – pour avoir protesté sur le podium contre l’inégalité raciale. « Il est clair aujourd’hui que l’USOPC aurait dû les soutenir au lieu de les condamner », suggère Sarah Hirshland dans sa lettre ouverte aux athlètes américains.
Surtout, l’USOPC accentue la pression sur le CIO pour un assouplissement, voire un abandon, de la règle 50 de la charte olympique. La rapidité de la réaction de l’instance internationale à l’annonce de l’USOPC en atteste. Kirsty Coventry, la présidente de la commission des athlètes, s’est fendue jeudi 10 décembre d’un communiqué. « La déclaration de Team USA sera prise en considération parmi les autres réactions déjà reçues, et celles encore à recevoir, des athlètes des 205 autres comités nationaux olympiques », précise l’ancienne nageuse, devenue ministre des Sports au Zimbabwe.
Le message du CIO est clair : les Américains peuvent bien changer leur fusil d’épaule et appeler à la liberté d’expression, ils ne sont pas les seuls à décider. Aux autres pays de s’exprimer, dans un sens ou dans l’autre.
Mais, hasard du calendrier, l’USOPC n’est pas l’unique organisation du mouvement olympique à appeler Thomas Bach et le CIO à revoir leur copie. World Athletics et son président, Sebastian Coe, poussent dans le même sens. Avec un objectif identique.
L’instance internationale de l’athlétisme a lancé une première flèche en fin de semaine passée en décernant son « Prix du président » pour l’année 2020 à Tommie Smith, John Carlos et Peter Norman, les trois médaillés du 200 m aux Jeux de Mexico en 1968. « Ils ont inspiré les athlètes à travers le monde, de Mexico 1968 jusqu’à nos jours », a souligné World Athletics pour expliquer son choix.
Depuis, Sebastian Coe a enfoncé le clou. « Je soutiens le droit des athlètes à faire partie du monde dans lequel ils vivent, a insisté le Britannique cette semaine face aux médias. J’ai encouragé, activement encouragé, les athlètes à parler de questions qui – en tant qu’athlètes – leur tiennent à cœur. »
Thomas Bach et le CIO resteront-ils droits dans leurs bottes ? Aux Jeux de Tokyo, sans doute. Mais jusqu’à quand ?