A 78 ans, Dick Pound n’est pas seulement le doyen des membres du CIO. L’ancien nageur et avocat canadien passe également pour le dirigeant olympique le plus libre dans ses propos. A la différence de la majorité de ses pairs, il ne cultive aucun goût pour la langue de bois. Il parle. Il ne craint pas les remous.
Sa dernière sortie médiatique soulève un débat jusque-là abordé avec un luxe de précautions par le CIO et les instances du mouvement olympique. Il touche à la vaccination des athlètes. Avec une question : les olympiens des Jeux de Tokyo doivent-ils être considérés comme prioritaires ?
En novembre dernier, Thomas Bach a répondu par la négative. Le président du CIO a profité de son voyage à Tokyo, le premier depuis le début de la crise sanitaire, pour suggérer que les athlètes ne devraient pas passer en tête de liste dans le processus de vaccination. Les médecins et le personnel soignant doivent être prioritaires, a tranché Thomas Bach.
Dick Pound, lui, pense le contraire. Il l’a expliqué sans nuance à l’occasion d’une interview accordée à la chaîne britannique Sky News.
« Au Canada, où nous comptons entre 300 et 400 athlètes, il faudrait qu’on obtienne entre 300 ou 400 doses sur les quelques millions qui seront disponibles afin que le Canada soit représenté dans un évènement sportif international de cette envergure, estime Dick Pound. Je ne crois pas que ça soulèverait un tollé au sein de la population. »
Le dirigeant canadien en convient : la décision de vacciner, ou non, les athlètes en priorité appartient à chaque pays. Mais, toujours très pragmatique, il a fait ses comptes : remonter les futurs sélectionnés aux Jeux en tête de cortège ne mettrait sans doute nulle part en péril le processus de vaccination.
« Chaque pays doit prendre ses décisions, et certaines personnes pourraient dire que les athlètes court-circuitent la file, mais je crois que c’est l’approche la plus réaliste qui soit, insiste-t-il. J’ai 78 ans et je suis prêt à céder ma place pour permettre à un athlète d’aller à Tokyo. Si l’on a 11.000 athlètes de plus de 200 pays, ça représente en moyenne 50 athlètes par pays. Ce n’est pas la fin du monde si l’on encourage les athlètes olympiques à participer. »
Pour Dick Pound, favoriser la vaccination des athlètes n’aurait pas seulement pour effet de leur ouvrir les portes des Jeux sans avoir à subir les contraintes d’un isolement. Une telle démarche aurait un impact plus universel : elle pourrait sauver les Jeux de Tokyo, dont la menace d’une annulation continue à peser.
Au Canada, le directeur général du comité national olympique (COC), David Shoemaker, a rapidement pris ses distances avec la position de Dick Pound. « Nous pensons que les travailleurs placés en première ligne de la crise sanitaire et les personnes plus vulnérables demeureront prioritaires, et que l’accès d’Équipe Canada aux vaccins dépendra de nombreux facteurs, notamment les lois qui régiront l’entrée au Japon l’été prochain », a-t-il précisé dans un communiqué.
Pour Dick Pound, la question est avant tout pragmatique. Quelques dizaines de milliers de doses, à l’échelle mondiale, pour tenter de sauver un événement à la portée universelle. Pour d’autres, le débat touche à l’éthique. A moins de 200 jours des Jeux de Tokyo, l’heure viendra bientôt de choisir son camp.