Le CIO l’a annoncé l’an passé en bombant le torse : les Jeux de Paris en 2024 seront marqués par la parité entre les hommes et les femmes pour le nombre d’épreuves et de médailles. Une première. Mais où en est l’égalité des sexes dans le mouvement olympique ? Les dirigeantes pèsent-elles du même poids que leurs homologues masculins ?
Au lendemain de la Journée internationale du sport féminin, célébrée dimanche 24 janvier, FrancsJeux a interrogé l’une des femmes les plus influentes de l’univers olympique. Nawal El Moutawakel, 58 ans, championne olympique sur 400 m haies aux Jeux de Los Angeles en 1984, est membre du CIO depuis 1998. Elle en a été vice-présidente entre 2012 et 2016. Elle siège aujourd’hui à la commission exécutive.
La Marocaine promène un regard avisé mais sans concession sur la place des femmes dans le mouvement sportif et ses institution. Elle reconnaît les progrès réalisés, mais reste consciente du chemin encore à parcourir.
FrancsJeux : Vous figurez à la 4ème place du classement des francophones les plus influents du mouvement olympique en 2020, publié le mois dernier par FrancsJeux. Vous en êtes aussi la première femme. Que vous inspire cette position ?
Nawal El Moutawakel : J’en suis très honorée. Mais je ne m’y attendais pas. Je travaille la tête baissée, avec passion et abnégation, pour servir le mouvement olympique, ses valeurs et son développement. Je m’investis pleinement dans cette mission. Elle guide mes pas depuis des années.
Dans ce même classement, seulement cinq femmes apparaissent parmi les vingt premiers. Ce résultat est-il à l’image du mouvement olympique ?
Il existe des Nawal El Moutawakel un peu partout dans le monde. Elles sont là, elles travaillent, parfois dans l’ombre. Le potentiel est réel. J’ai rencontré des femmes chefs d’Etat pendant ma carrière au CIO. Dilma Rousseff, notamment, avant les Jeux de Rio 2016. Aujourd’hui, un tiers des membres du CIO sont des femmes. Au cours des dernières années, j’ai vu arriver une nouvelle génération, représentée notamment par la Costaricaine Laura Chinchilla, ou l’ancienne présidente de la République de la Croatie, Kolinda Grabar-Kitarovic. L’avenir du mouvement olympique sera féminin. Thomas Bach y travaille sans relâche. Le nombre de femmes n’a jamais été aussi important dans les commissions du CIO.
Les femmes n’ont jamais été aussi nombreuses au CIO, mais sont-elles écoutées ?
Elles doivent jouer leur rôle, prendre leurs responsabilités pour être plus présentes, plus décisives et plus exigeantes. Mais je constate que leurs voix sont de plus en plus entendues dans les forums internationaux. Nous le devons à Juan Antonio Samaranch. Il a été le premier, lorsqu’il présidait le CIO, à créer dans les années 90 une commission des femmes. Il a tiré le signal d’alarme pour renforcer la place des femmes dans notre écosystème. Puis Jacques Rogge, et aujourd’hui Thomas Bach, ont poursuivi sur la même voie. Mais tout doit partir des clubs. Ils sont à la base de tout. Les femmes doivent être plus présentes dans les clubs, pour ensuite gagner les comités nationaux olympiques et les fédérations internationales. Mais toutes les instances n’avancent pas à la même vitesse. Certaines fédérations internationales ont compris le message, d’autres progressent moins vite.
Seulement deux fédérations internationales d’un sport olympique d’été, le triathlon et le golf, sont aujourd’hui présidées par une femme…
C’est vrai, cela fait peu. Il va falloir faire bouger les lignes. Les femmes sont là, mais il faut les pousser vers l’excellence, le travail et l’abnégation. Mais je garde bon espoir. Quand je vois le chemin parcouru, sur le terrain, dans les compétitions, je me dis que beaucoup d’avancées ont été réalisées en peu de temps. Aux Jeux de Los Angeles en 1984, où le 400 m haies, mon épreuve, était inscrit au programme pour la première fois, les femmes représentaient seulement 23 % des compétiteurs. La parité sera atteinte aux Jeux de Tokyo.
A quand une femme candidate à la présidence du CIO ?
Cela s’est déjà produit. Anita DeFrantz était candidate à la présidence en 2001, après le départ de Juan Antonio Samaranch. Je l’avais trouvée très courageuse, battante et compétitive. Mais les esprits de l’époque n’étaient pas prêts à voter pour une femme. Elle est aujourd’hui la première vice-présidente du CIO. Je suis très admirative de son parcours. Elle était maire du village aux Jeux de Los Angeles lorsque j’étais une athlète ! Mais elle n’est pas la seule à peser dans le mouvement. Gunilla Lindberg a accompli un travail phénoménal en tant que présidente de la commission de coordination des Jeux de PyeongChang 2018. Nicole Hoevertsz siège avec moi à la commission exécutive et dirige la commission de coordination des Jeux de Los Angeles 2028. Lingwei Li, en plus d’être une extraordinaire championne, a conduit avec succès la commission de coordination des JOJ de Buenos Aires 2018.
Aujourd’hui, les esprits seraient-ils prêts à voter pour une femme ?
Les choses changent. Thomas Bach a toujours fait de l’élément féminin l’une de ses préoccupations. Il pousse à changer d’attitude. En Afrique, où un long chemin reste à parcourir, ce sont des femmes qui dirigent le Libéria, l’Ethiopie et le Malawi. Je continue à croire que tout est possible. Aux Jeux de Tokyo, toutes les délégations auront au moins une représentante féminine.
Voyez-vous aujourd’hui une nouvelle génération arriver au CIO, une nouvelle vague de femmes susceptibles d’accélérer cette évolution ?
Oui. Dans la nouvelle génération, je vois bien sûr Kirsty Coventry. Elle est ministre des Sports au Zimbabwe et siège à la commission exécutive. Elle arrive au sommet. Mais elle n’est pas la seule. Il faut citer également Danka Bartekova, Mikaela Cojuangco Jaworski ou encore de l’Ethiopienne Dagmavit Girmay Berhane. D’autres femmes ont rejoint les rangs du CIO récemment et apportent énormément au mouvement olympique. Je pense à la Finlandaise Sari Essayah, la Canadienne Tricia Smith, la Thailandaise Khunying Patama Leeswadtrakul, la Costaricaine Laura Chinchilla, l’ancienne présidente de la République de la Croatie Kolinda Grabar-Kitarovic, ou la Princesse d’Arabie saoudite Reema Bandar Al-Saud, par ailleurs ambassadrice de son pays à Washington. Elles démontrent jour après jour que les femmes ont leur place dans le sport international. Et que le mouvement olympique et le CIO ont raison de leur confier les responsabilités qu’elles méritent et de s’appuyer sur leur talent.