A quoi ressembleront les Jeux de Tokyo ? Pour les médias, la question reste encore sans réponse. Le comité d’organisation a dévoilé en février dernier une série de quatre guides pratiques détaillant par le menu les mesures sanitaires envisagées pendant l’événement olympique et paralympique. L’un d’eux concerne les représentants des médias.
Le « playbook » explique que les zones mixtes et les conférences de presse se dérouleront en mode virtuel, sans contact direct avec les athlètes. Il précise que les journalistes devront réserver plusieurs jours à l’avance leurs places dans les tribunes de presse, où le nombre de sièges disponibles sera réduit de moitié. L’improvisation ne sera plus possible.
Par ailleurs, l’interdiction annoncée d’utiliser les transports publics, et plus largement de s’écarter du dispositif olympique, réduira très nettement les perspectives de reportage. Enfin, l’absence de spectateurs étrangers, y compris les représentants des partenaires, les institutionnels et les familles des athlètes, allègera de façon drastique le choix des potentiels interlocuteurs.
Avec un tel « champ de contraintes », pour reprendre l’expression de Christophe Dubi, le directeur des Jeux olympiques au CIO, le voyage au Japon est-il toujours justifié ? Les conditions de travail à Tokyo incitent-elles les médias à revoir leurs plans à la baisse ? FrancsJeux en a sondé une poignée, en Europe et aux Etats-Unis. Les réponses révèlent des approches parfois très différentes.
A l’AFP, le dispositif olympique n’a pas été revu à la baisse. L’agence française prévoit toujours une présence massive aux Jeux de Tokyo, soit 150 à 160 personnes, tous services confondus. Mais le chef du département sports, Emmanuel Pionnier, explique : « Les contraintes liées à la crise sanitaire vont modifier notre couverture de l’événement. Il nous faudra nous adapter et être plus créatifs. Par exemple, nous avons l’habitude d’avoir 8 journalistes sur l’athlétisme, toutes langues confondues. Nous n’aurons peut-être pas autant de places dans le stade en tribune de presse. Du coup, nous irons ailleurs, sur des sports habituellement moins traités. »
Pas question, pour autant, de tailler dans les effectifs. Le plan Tokyo 2020 sera maintenu dans sa version initiale, élaborée avant la décision du report. Seule incertitude, la vidéo. En l’absence de zones mixtes en mode présentiel, l’AFP pourrait être amenée à réduire son dispositif, n’étant pas détentrice des droits audiovisuels. Emmanuel Pionnier insiste : « Les Jeux restent l’événement le plus important. Nous devons faire notre travail d’agence, en étant là où les autres ne sont pas. »
Même son de coche à l’Equipe. Le groupe français reste fidèle à son plan de bataille initial, identique à quelques détails près à celui des Jeux de Rio 2016. « Pour l’heure, et sous réserve de contraintes imposées par le CIO ou le comité d’organisation, nous partons avec le contingent prévu initialement : 34/35 personnes, soit 25 reporters, 3 chefs, 4/5 photographes, 1 responsable logistique et 1 technicien informatique », explique Jean-Denis Coquard, le responsable du service omnisport.
A Ouest-France, en revanche, la décision est toujours en attente. Elle pourrait être prise au dernier moment par la direction générale. Le quotidien envisageait l’envoi de deux journalistes aux Jeux de Tokyo. L’option d’une couverture exclusivement à distance, sans présence au Japon, n’est pas écartée.
Incertitude, également, au Temps. Le quotidien suisse n’a pas encore arrêté sa décision. Il attend d’en savoir plus sur la situation sanitaire et le protocole imposé aux médias étrangers. Mais Laurent Favre, le chef des sports, explique : « Le fait que les journalistes pourraient être les seuls étrangers admis nous « oblige » presque à profiter de ce privilège, quand bien même les conditions de travail sur place risquent d’être très limitées et frustrantes. Parallèlement, nous craignons que cette organisation de crise survive au COVID et contribue, à l’avenir, à maintenir les journalistes encore plus éloignés des athlètes. »
En Belgique, le quotidien Le Soir reste sur son plan initial, avec un contingent de trois envoyés spéciaux. Les chambres d’hôtel ont été reconfirmées et les billets d’avion réservés. Mais Philippe Vande Weyer, le spécialiste des questions olympiques, se dit très « circonspect » sur la manière dont les médias pourront travailler. « Prévoir dès l’arrivée au Japon son programme pour les deux semaines des compétitions est pratiquement impossible, reconnaît-il. Aux Jeux, on réagit souvent de manière spontanée, en se rendant en dernière minute sur un site où un athlète du pays est en train de bien se comporter lors des manches de qualification, par exemple. Et puis, devoir communiquer avec tous nos athlètes de manière virtuelle ôtera toute humanité et émotion. »
A l’inverse, le site américain AroundtheRings a bouleversé son dispositif. A ce jour, il n’envisage plus d’envoyer de journalistes sur place. Il fera confiance pour les reportages à ses correspondants au Japon. Le reste de la couverture de l’événement sera réalisée depuis Atlanta, au siège de la société.
Ed Hula, le fondateur du site, explique : « Pour une petite entreprise comme la nôtre, les risques d’envoyer des reporters à l’étranger sont trop importants. La possibilité d’une mise en quarantaine, par exemple, mais aussi le coût de l’assurance médicale et de la couverture de rapatriement. La nécessité de fournir un programme pour 14 jours constitue une autre exigence de Tokyo 2020 difficile à respecter. En plus, les restrictions concernant l’utilisation des transports en commun, des restaurants et des autres lieux en dehors de la bulle olympique pourraient s’avérer un vrai un défi pour un journaliste de mon âge, mais aussi pour les autres envoyés spéciaux. »
AroundtheRings a prévu de bouleverser ses horaires de travail pour assurer, depuis les Etats-Unis, une couverture complète et en temps réel des Jeux de Tokyo malgré le décalage horaire.