A trois semaines de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Tokyo, les organisateurs voient se dresser une nouvelle vague de mécontentement. Surprise, elle n’est pas alimentée par l’opinion publique ou l’opposition politique japonaise. Cette fois, la grogne est exprimée par les médias étrangers.
L’agence japonaise Kyodo News a eu connaissance d’une lettre de protestation envoyée en début de semaine au comité d’organisation. Elle est co-signée par les rédacteurs en chef des sports de plus d’une dizaine de médias américains, dont le New York Times, le Washington Post, Associated Press et USA Today.
En substance, le courrier explique que les règles imposées aux journalistes pendant leur prochain séjour au Japon, motivées par la crise sanitaire, constituent une atteinte manifeste à la liberté de la presse. Les médias américains relèvent notamment l’interdiction faite aux journalistes étrangers de parler aux spectateurs et de réaliser des interviews, alors que les journalistes basés au Japon ne seront pas soumis aux mêmes restrictions.
Envoyée en copie à Thomas Bach au CIO, la lettre des médias américains assure que « certaines des mesures vont au-delà de la limitation de la propagation du virus et concernent directement et principalement la liberté de la presse. »
La troisième version du guide pratique (playbook) à destination des médias, publiée le mois dernier, le précise noir sur blanc : les journalistes étrangers ne pourront pas interviewer de spectateurs ou faire du reportage en dehors des sites officiels pendant les 14 premiers jours de leur présence au Japon. Ils devront également activer sur leur smartphone une application de localisation permettant un traçage GPS de leurs déplacements. Le « playbook » prévient : les sanctions sont prévues pour les médias qui se risqueraient à sortir des clous. Elles pourront aller jusqu’à l’exclusion des Jeux de Tokyo, donc du pays.
Les médias américains expliquent comprendre et accepter les mesures sanitaires, sans chercher à en contester la nécessité. Mais ils demandent à pouvoir fair leur travail de collecte d’informations, en « portant des masques et en respectant la distanciation sociale. » Ils expriment également leur volonté d’obtenir des organisateurs japonais un assouplissement des règles, dans le respect du « bon sens et sans étouffer les libertés de la presse. »
Interrogé par Kyodo News, Randy Archibold, rédacteur au New York Times, a rappelé que la Charte olympique appelait les organisateurs des Jeux à prendre « toutes les mesures nécessaires pour assurer la couverture la plus complète des Jeux olympiques par les différents médias et la plus large audience possible dans le monde. »
Selon le journaliste américain, le traçage des médias pendant les Jeux de Tokyo risque de créer « un dangereux précédent en conflit avec les idéaux d’une presse libre. »
Réaction japonaise ? Un communiqué, rien de plus, où pas un mot ne laisse entrevoir la moindre volonté de répondre aux attentes des médias. Le comité d’organisation explique avoir envoyé une réponse aux auteurs de la lettre en leur demandant de comprendre ces restrictions. « Compte tenu de la situation actuelle, nous devons prendre des mesures très strictes, que nous considérons comme importantes pour tous les participants et les résidents du Japon« , suggèrent-ils dans leur communiqué.
Mercredi 30 juin, le comité d’organisation a envoyé aux médias étrangers accrédités aux Jeux de Tokyo un document d’une dizaine de pages tout entier dédié au logement. Il détaille par le menu les règles de séjour, mais aussi de déplacements, des journalistes pendant les Jeux de Tokyo.
Entre autres contraintes, les représentants des médias ne seront pas autorisés à « marcher » sur la voie publique en dehors de leur hôtel. Tout juste leur sera-t-il accordée l’autorisation de se rendre à la supérette (convenience store) la plus proche, mais seulement après en avoir informé l’agent de sécurité posté à l’entrée de l’hôtel, et en veillant à mentionner cette « sortie » sur l’application de traçage. Le document recommande également aux médias de se rendre en groupe, et non pas les uns après les autres, faire leurs emplettes de bouteilles d’eau, snacks ou glaces, et d’en repartir avant d’avoir atteint la limite fatidique des 15 minutes.
Plus gênant encore, un paragraphe du guide du logement l’explique en toutes lettres : « Le peuple japonais sera très attentif à chacun de vos mouvements pendant que vous participerez aux Jeux. Dans le cas peu probable où vous seriez suspecté ou trouvé en train d’enfreindre le playbook, une telle activité peut être photographiée et partagée sur les réseaux sociaux par des passants. Sachez que dans ces cas-là, Tokyo 2020 mènera les enquêtes nécessaires pour identifier les violations suspectées et, si cette activité est confirmée, prendra des mesures strictes, y compris le retrait éventuel des cartes d’accréditation. » Gare à la délation.