La décision était devenue inévitable. Elle n’a surpris personne. Mais, quelques heures après son annonce, elle reste difficile à croire. Irréelle.
Les Jeux de Tokyo 2020 se dérouleront à huis clos. Les spectateurs ne seront pas autorisés à entrer dans les sites de compétition à Tokyo et dans trois préfectures voisines, Chiba, Kanagawa et Saitama. Les Jeux du silence. Les Jeux des tribunes vides.
La décision a été actée jeudi 8 juillet, en fin d’après-midi, au terme d’une réunion à cinq entre le gouvernement japonais, les autorités de la capitale, le comité d’organisation, le CIO et l’IPC. Elle a d’abord été annoncée par la ministre olympique, Tamayo Marukawa. Puis Seiko Hashimoto, la présidente du comité d’organisation, l’a détaillée plus tard dans la soirée au cours d’une conférence de presse. Elle a fait suite à l’annonce par le gouvernement japonais, en milieu de journée, de la prolongation jusqu’au 22 août de l’état d’urgence à Tokyo et dans ses environs.
« Nous voulions vraiment des stades pleins pour que toutes les communauté puissent s’impliquer dans l’accueil des athlètes, a expliqué Seiko Hashimoto. Nous avions aussi la volonté de proposer une expression complète du pouvoir du sport. Mais aujourd’hui, dans la situation sanitaire actuelle, nous n’avons pas d’autre choix que d’organiser les Jeux de manière limitée. »
A deux semaines de l’ouverture, il n’est pas encore acquis que toutes les sessions des Jeux olympiques soient affectées de la même façon par la décision du huis clos. Les épreuves organisées loin de Tokyo, dans des préfectures non concernées par l’état d’urgence, pourraient accepter un nombre réduit de spectateurs. Fukushima, notamment, où doivent se tenir des rencontres de softball et baseball.
Mais Tamayo Marukawa se veut prudente. « Nous allons en discuter« , a-t-elle confié jeudi 8 juillet. A Sapporo, ville-hôte des marathons et des épreuves de marche, les autorités locales ont déjà demandé aux habitants de ne pas venir le long du parcours pour encourager les athlètes.
Pour les organisateurs japonais, secoués par des affaires de corruption et par une vertigineuse inflation des coûts avant même le début de la pandémie, la crise sanitaire a transformé depuis 16 mois leur quotidien en un interminable cauchemar. La chronologie le résume. Le 24 mars 2020, Thomas Bach et Shinzo Abe, alors Premier ministre japonais, annoncent leur décision commune de reporter les Jeux de Tokyo. Le 20 mars 2021, les organisateurs décident que les spectateurs étrangers ne seront pas autorisés. Le 21 juin, ils établissent la jauge du public à 50 % de la capacité des sites, avec un plafond de 10.000 personnes. Jeudi 8 juillet, dernier épisode en date, ils déclarent que les Jeux de Tokyo se dérouleront à huis clos.
Les Japonais en ont encaissé leur lot, mais ce dernier coup n’est pas le moins rude. Financièrement, l’impact s’annonce considérable. Avant le début de la pandémie, les organisateurs espéraient approcher le milliard de dollars en recettes issues de la billetterie. Ils avaient sécurisé 880 millions de dollars. Avec la décision du huis clos, cette ligne budgétaire sera proche de zéro. Certes, les sites ne seront pas totalement désertés. Mais les seuls témoins des compétitions – athlètes, entraîneurs, officiels, médias, volontaires – ne payent pas leurs places.
Avec des stades et des salles quasiment vides, l’écart entre l’action sur place et son spectacle télévisé s’annonce abyssal. Sans la moindre ambiance dans les tribunes, l’entité en charge de la production des images des Jeux, OBS, devra accomplir des miracles pour proposer aux diffuseurs un produit susceptible d’entretenir l’illusion d’une fête olympique.
A deux semaines de l’ouverture, la décision du huis clos annonce également pour les organisateurs quelques nuits sans sommeil, à travailler sans relâche pour régler à temps les nombreuses questions encore en suspens. A quel niveau réduire l’effort de sécurité sur des sites officiels occupés par les seuls accrédités ? Combien de volontaires conserver dans le dispositif, sans le moindre spectateur à renseigner, diriger et placer ? Faut-il maintenir la totalité des tribunes démontables sur les sites temporaires ? Quelle « animation » prévoir pendant les compétitions, dans des stades et de salles remplies par seulement quelques centaines de médias, officiels et entraîneurs ?
Mais l’annonce reste un coup dur pour les organisateurs de Tokyo, et va alourdir le coût des Jeux pour le peuple japonais. Les organisateurs locaux obtiennent les revenus de la vente des billets, et Tokyo 2020 avait initialement prévu que ces revenus s’élèveraient à 800 millions de dollars.
« Nous allons voir une diminution », a reconnu M. Muto.
Le manque à gagner devra désormais être comblé par les Japonais. Le coût officiel des Jeux s’élève déjà à 15,4 milliards de dollars, mais on pense qu’il sera beaucoup plus élevé – peut-être deux fois plus.