Absence du public, distanciation sociale, séjour écourté au village olympique et restrictions des déplacements. Pour les athlètes, les Jeux de Tokyo ne ressembleront à rien de connu, même pour les plus habitués des bulles sanitaires. Mais qu’en sera-t-il pour les juges et les arbitres, acteurs majeurs de l’événement ? FrancsJeux a interrogé Patrick Vajda, le président de la Fédération mondiale des arbitres et juges sportifs (IFSO).
FrancsJeux : Les Jeux de Tokyo s’annoncent-ils aussi difficiles, compliqués et particuliers pour les arbitres que pour les athlètes ?
Patrick Vajda : Très certainement. Comme pour les athlètes, ils s’annoncent très difficiles, notamment sur le plan mental. Un « playbook » a été publié à l’intention des officiels et des arbitres. Il détaille des conditions de séjour et de travail qui ne seront simples pour personne, avec une période d’isolement à l’arrivée au Japon, sans pouvoir quitter l’hôtel, puis des restrictions de déplacement strictes pendant les Jeux. Les arbitres ont besoin non seulement d’un entraînement physique indispensable, mais également de s’aérer l’esprit entre les compétitions. Aux Jeux, les athlètes jouent leur vie. Les arbitres n’ont pas le droit de se tromper. La pression est forte, la tension nerveuse maximale. Pour le supporter, un arbitre a besoin de faire le vide, s’échapper, en faisant un footing ou une promenade. A Tokyo, ils n’en auront pas la possibilité, leur quotidien étant réduit à l’hôtel et au site de compétition. Ils ne pourront même pas se rendre aux entraînements des athlètes, une démarche qui s’inscrit parfois dans leur préparation.
Les compétitions internationales organisées depuis le début de la pandémie ne les ont-ils pas habitués à composer avec ces conditions ?
Beaucoup d’entre eux ont, en effet, pris une certaine habitude des bulles sanitaires. Mais ils sont encore nombreux, issus des sports individuels ayant arrêté longtemps leur calendrier, à avoir connu une pause de plusieurs mois. Je pense notamment aux sports de combat, dont la boxe et la lutte. Les arbitres d’escrime ont également été arrêtés pendant une longue période. Dans certaines disciplines, on peut vite perdre la main. Beaucoup d’officiels risquent d’aborder les Jeux de Tokyo sans réelle préparation.
Les restrictions imposées par les organisateurs quant au nombre d’accrédités affectent-elles le corps arbitral ?
Le nombre de juges et d’arbitres avait déjà été réduit avant la crise sanitaire. Mais les mesures sanitaires ont renforcé la tendance. Nous avons perdu environ 10 à 20 % des effectifs. Pour la France, par exemple, 55 juges et arbitres devaient faire le voyage. Ils seront finalement 47 ou 48. Mais nous ne sommes pas les plus touchés.
Quelles conséquences peut avoir cette réduction du nombre d’arbitres sur les compétitions ?
Dans certains sports, où l’arbitrage n’est pas le plus complexe, les étrangers seront remplacés par des locaux. En golf, par exemple. Ailleurs, il sera imposé aux arbitres des cadences plus élevées, notamment dans les sports individuels. Ils en feront plus.
La distanciation sociale aura-t-elle un impact sur l’arbitrage ?
Non. Il sera possible de garder la proximité habituelle avec l’action. Le tête à tête sera interdit, mais il est dangereux, indépendamment de toute considération sanitaire. Il faut conserver un certain éloignement. A moins de 75 cm d’un compétiteur, on entre dans la zone d’intimité. Une décision prise dans ces conditions n’est pas recommandée.
L’absence de public aura-t-elle une influence sur l’arbitrage, et même éventuellement sur les résultats de certaines compétitions ?
Je ne crois pas. Les publics neutres n’ont pas d’effet sur l’arbitrage. C’est vrai également, à plus forte raison, pour le huis clos. A l’inverse, une foule hostile peut influencer un juge, dans un sens comme dans l’autre, en créant un sentiment de peur ou en le poussant à l’agacement. Aux Jeux de Tokyo, le silence sur les sites va favoriser un arbitrage sans influence. Mais les réactions du public peuvent parfois avoir une influence positive sur un arbitre, en l’incitant à se poser des questions sur ses propres décisions. Le phénomène se rencontre surtout dans les sports où le public est pour l’essentiel composé de vrais connaisseurs de la discipline.