Les Jeux de Tokyo ont pu dérouler leur décor et offrir « une lumière au bout du tunnel« . Mais l’année 2021 restera, comme la précédente, dominée par les reports et les annulations, les contraintes et les incertitudes. Les athlètes en ont payé le prix. Les institutions ont tremblé. Le mouvement sportif a été secoué. Et les arbitres ?
Au terme d’une année où les juges et les officiels techniques n’ont pas été épargnés, FrancsJeux a interrogé Patrick Vajda, le président de l’IFSO (International Federation For Sports Officials). Son analyse n’incite guère à l’optimisme.
FrancsJeux : Quel bilan peut-on tirer de l’année 2021 en matière d’arbitrage ?
Patrick Vajda : Les données ne sont pas toujours faciles à recueillir et donc à analyser. Mais une chose est certaine : la crise sanitaire a eu un effet dévastateur sur les effectifs des arbitres et des juges. Avant le début de la pandémie, la courbe était ascendante, notamment chez les femmes. Mais l’arrêt des compétitions et les confinements successifs ont étouffé dans l’oeuf cette progression. Les femmes ont ralenti ou stoppé leur activité. Beaucoup n’ont pas repris et ne le feront peut-être jamais. En France, la baisse des effectifs atteint 25 à 30 % en moyenne, hommes et femmes confondus, avec quelques points supplémentaires côté féminin.
Peut-on craindre que le mouvement sportif manque bientôt de juges et d’arbitres ?
L’impact ne se verra pas tout de suite au plus haut niveau. Le phénomène touche en effet surtout les catégories inférieures, départementales et régionales, voire nationales. L’arbitrage professionnel n’est pas touché. Pas encore. Mais, à terme, il le sera lui aussi. La base va se restreindre. Dans les trois ou quatre années à venir, le mouvement sportif manquera d’arbitres et de juges. Le niveau général va donc baisser. Il est difficile de connaître avec précision la situation au niveau international, car peu de pays possèdent des statistiques précises. Mais, l’activité sportive ayant été arrêtée ou très ralentie un peu partout sur la planète, il est probable que le phénomène touchera le mouvement sportif à l’échelle mondiale.
Les Jeux de Tokyo ont-ils souffert, en termes d’arbitrage et de jugement, des conditions sanitaires ?
Je le craignais avant le début de l’événement. Aux Jeux olympiques, la pression est tellement forte que les juges et les arbitres ont besoin de se laver la tête après une journée à officier. Ils doivent pouvoir respirer et se ressourcer. A Tokyo, les conditions ne le permettaient pas. Les gens ont vécu en cercle fermé, métro-boulot-dodo. Mais l’arbitrage n’en a pas souffert. Globalement, il a été bon. Même en boxe, où une partie des meilleurs arbitres mondiaux avait été écartée après le scandale des Jeux de Rio 2016, le niveau a été bon. Les fautes d’arbitrage ont plus été le résultat de l’inexpérience de certains juges que d’une volonté de manipulation des combats. Mais, tous sports confondus, les arbitres sont rentrés des Jeux de Tokyo très éprouvés nerveusement, car ils ont été branchés arbitrage 24 h sur 24.
Le huis clos a-t-il affecté l’arbitrage ?
Tout dépend du caractère de l’arbitre et de sa résistance à la pression. Certains y ont trouvé leur compte. Pour les autres, l’absence de public a été perçue comme un manque. Ces arbitres-là on besoin de la présence des spectateurs car elle les pousse à se montrer les meilleurs.
A l’heure du bilan, il est difficile de ne pas retenir les récents et nombreux incidents dans le football, notamment en Ligue 1 française…
Le phénomène est inquiétant. Le nombre d’incidents graves se révèle en hausse, avec des conséquences désastreuses, comme l’arrêt d’un match. La décision lui revient si le problème est intervenu à l’intérieur du stade, mais un l’arbitre ne devrait pas se retrouver en position d’avoir à décider de l’arrêt d’une rencontre, car une telle décision met tout le monde en danger : les joueurs, les arbitres, les spectateurs… Les arbitres professionnels sont formés à prendre la décision d’arrêter une rencontre, mais elle n’en reste pas moins complexe et très délicate. Le public devient de plus en plus fou, c’est une tendance très inquiétante. Reste à savoir si nous assistons à un phénomène nouveau, ou si l’attitude excessive des spectateurs est lié à la crise sanitaire et au retour dans les stades après une longue privation du spectacle sportif.
A quoi faut-il s’attendre aux Jeux d’hiver de Pékin 2022 ?
La situation des arbitres s’annonce très comparable à celle vécue l’été dernier aux Jeux de Tokyo. Dans certaines disciplines, les juges et les officiels ont été privés de compétitions pendant plusieurs mois. Mais le « trou » n’a pas été plus important que pour les disciplines des Jeux d’été. Les conditions de séjour aux Jeux de Pékin seront, elles aussi, comparables à celles rencontrées au Japon. Les faits ont démontré que les arbitres étaient capables de les surmonter. Je suis plus inquiet, et attristé, par l’annulation de l’Universiade d’hiver 2021 à Lucerne. Le rendez-vous universitaire a souvent servi de banc d’essai, pour les juges et les arbitres en devenir, avant de se lancer dans le grand bain international, voire d’officier aux Jeux olympiques. L’annulation de l’édition 2021 de cet événement unique représente une grande perte.