La décision est d’importance. Elle pourrait même avoir des conséquences dans tout le mouvement olympique. Bannis de toutes les compétitions internationales depuis l’invasion de l’Ukraine, les lugeurs russes ont vu leur exclusion annulée par une juridiction indépendante. Ils peuvent à nouveau concourir à tous les niveaux de la discipline.
La décision initiale de bannir les athlètes russes avait été prise par la Fédération internationale de luge (FIL), après la recommandation de la commission exécutive du CIO de suspendre les compétiteurs et officiels en réaction à l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. Elle était attendue. Elle n’a surpris personne, la FIL se contentant à ce stade de suivre le mouvement.
Seul ennui, pour l’instance présidée par le Letton Einars Fogelis : la Fédération russe de luge a contesté sa mise au ban de la discipline. Elle a saisi le tribunal d’arbitrage de la FIL, une juridiction indépendante. Selon le président de l’instance russe, l’exclusion des athlètes pour des raisons politiques constitue une violation de la charte de la fédération internationale.
La décision du tribunal d’arbitrage est tombée en fin de semaine passée. Elle oblige la FIL à opérer une brutale marche arrière et lever sa suspension des athlètes russes.
« Les dirigeants de la FIL sont toujours d’avis que les officiels et les athlètes des États ayant un comportement contraire au droit international doivent être exclus, a expliqué un porte-parole de l’instance. La FIL peut faire appel de cette décision. Mais, sur le plan juridique, ses chances de succès ne semblent pas très prometteuses à ce stade. »
Difficile, en effet, pour la FIL de contredire elle-même ses propres statuts et règlements. A l’image de la Charte olympique, ils interdisent « toute discrimination politique, raciste, religieuse ou autre envers ses membres. »
Le porte-parole de la FIL l’a expliqué dimanche 10 avril : « Les actions collectives à l’encontre de tous les athlètes, entraîneurs et officiels russes étant fondées uniquement sur leur nationalité, elles peuvent être vues comme une discrimination politique, donc contraires à nos règles. »
La FIL se refuse pourtant à baisser les bras. Elle a annoncé, lundi 11 avril, sa volonté de proposer un changement de ses statuts lors de son prochain congrès, prévu les 18 et 19 juin à Riga, en Lettonie. En cas de succès, elle pourrait disposer d’un nouvel outil juridique pour écarter la Russie.
Dans l’immédiat, le revirement forcé imposé à la FIL n’aura pas le moindre effet concret. La saison internationale de luge a pris fin avec les Jeux de Pékin 2022. Elle ne reprendra pas avant le mois de novembre. Dans le monde de la luge, la Russie pèse d’un certain poids. Elle a décroché une médaille de bronze aux Jeux d’hiver de Pékin 2022, avec Tatyana Ivanova (photo ci-dessus) dans l’épreuve féminine monoplace. Chez les hommes, Roman Repilov a été sacré champion du monde en 2021.
Mais le cas de la luge pose deux questions. La première concerne la discipline elle-même : quelle sera l’attitude des autres nations, à la reprise des compétitions, face à la présence sur la piste d’une délégation russe ?
Un premier élément de réponse a été apporté dès le week-end dernier avec la publication sur les réseaux sociaux d’un appel au boycott lancé par les lugeurs ukrainiens. Dans une lettre ouverte partagée par la FIL, ils appellent les autres compétiteurs à boycotter les compétitions internationales aussi longtemps que les Russes seront autorisés à concourir.
« Nous sommes alarmés et extrêmement préoccupés par la possibilité d’autoriser l’équipe russe à participer aux compétitions internationales, écrivent-ils. Dans un tel scénario potentiel, nous sommes très inquiets pour la sécurité physique et mentale de tous les athlètes ukrainiens pendant ces compétitions internationales. »
L’autre question dépasse largement le cas de la luge. Elle touche au mouvement olympique dans sa totalité. Depuis la « recommandation » du CIO aux fédérations internationales de bannir les athlètes russes et biélorusses, le Tribunal arbitral du sport (TAS) a été saisi par une dizaine de fédérations sportives russes. Elles contestent l’exclusion de leurs athlètes par les fédérations internationales. Les appels concernent notamment l’aviron, le patinage, la gymnastique, le biathlon et le rugby.
A ce jour, les dossiers sont toujours en cours de traitement au TAS à Lausanne. Aucun calendrier n’a été communiqué par la juridiction sur la suite et fin des procédures. Mais en estimant que la décision initiale de la FIL était contraire à la Charte olympique et à ses propres règlements, le tribunal d’arbitrage de la luge a ouvert une porte.