Le conflit en Ukraine et les sanctions prises par le mouvement olympique à l’encontre de la Russie et de la Biélorussie vont-ils bouleverser le sport international ? Pour le Suisse Jean-Loup Chappelet, professeur honoraire de l’Université de Lausanne, le rapprochement engagé par le régime de Moscou avec son allié chinois s’apparente à un premier pas. Il l’explique dans une tribune publiée dans Le Temps. FrancsJeux la reproduit dans son intégralité.
« L’année sportive 2022 s’annonçait chaude du point de vue des droits humains avec de grands évènements internationaux multisports prévus en Chine : Jeux olympiques et paralympiques d’hiver à Pékin en février et mars, Universiades à Chengdu en juin, Jeux asiatiques à Hangzhou en septembre, Jeux gay à Hong Kong en novembre, sans parler de la Coupe du monde de football masculin au Qatar juste avant Noël.
Mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie, fin février, a fait passer cette forte préoccupation au second plan. Elle a obligé les organisations sportives internationales à retirer toutes les compétitions prévues en 2022 de Russie et à exclure les équipes russes et biélorusses (mais pas les officiels comme le demande la Confédération suisse par la voie de sa ministre des Sports) des évènements sportifs hors Russie sur une base morale et/ou à l’insistance des athlètes des autres équipes. Ces exclusions sont un virage majeur pour le sport mondial qui laissera des traces, même si le CIO a déjà dit que ses membres russes ne seront pas exclus.
Les Jeux olympiques d’hiver 2022 ont certes échappé aux exclusions car se déroulant juste avant l’invasion. Mais le Comité international paralympique a été obligé d’interdire Russes et Biélorusses de ses Jeux à Pékin après avoir cru pouvoir les laisser participer comme athlètes neutres. Après coup, un évènement alternatif a été organisé en Sibérie occidentale pour ces athlètes et quelques autres.
De même, la FIFA a rapidement exclu l’équipe russe de la Coupe du Monde 2022 au Qatar. Les judokas russes ont préféré s’abstenir de toutes compétitions mondiales pour éviter les réactions des athlètes d’autres pays. La Fédération internationale de natation (FINA) a déplacé ses prochains championnats du monde de Kazan à Budapest. La Fédération internationale de volleyball a transféré son Mondial 2022 de Russie en Pologne et Slovénie. Que se passera-t-il en 2023 si la guerre continue ?
Les prochaines échéances sportives en Chine seront d’abord affectées par le COVID-19, encore mal maitrisé dans ce pays. Les Jeux gay de Hong Kong ont d’ailleurs déjà été repoussés d’un an et se dérouleront en partenariat avec Guadalajara, au Mexique, sans qu’on sache vraiment les motivations de ce report (pandémie ou situation politique à Hong Kong).
Mais la guerre en Ukraine va sûrement affecter les Universiades de Chengdu, capitale du Sichuan au centre de la Chine, prévues du 26 juin au 7 juillet 2022 (reportées de 2021). Pour suivre les recommandations du CIO, la Fédération internationale du sport universitaire (FISU), basée à Lausanne, va probablement y interdire les étudiants russes et biélorusses qui devaient y participer. Pourtant son président, Oleg Matytsin, est russe, même s’il s’est fait provisoirement remplacer jusqu’à la fin de l’année par son vice-président, le Suisse Leonz Eder. De plus, il est aussi ministre des sports de la Fédération de Russie et tenant de la nouvelle diplomatie sportive que tente de promouvoir Vladimir Poutine, lequel voit dans le sport international un secteur important du soft power russe qui permettait autrefois à l’URSS de briller.
Face à l’exclusion des sportifs russes qui risque de durer, le Kremlin tente en effet une alliance avec la Chine pour organiser des compétitions conjointes auxquelles se joindraient la Biélorussie, l’Arménie et le Kazakhstan. C’est en tout cas ce qu’on apprend de la part du président du Comité olympique russe, qui vient de rencontrer son homologue chinois à cet effet. Des pays du BRICS comme le Brésil, l’Inde et l’Afrique du sud pourraient se joindre à ce projet.
La Russie essayerait-elle de créer un mouvement sportif alternatif au système olympique, comme avec les Spartakiades organisées avant la Deuxième Guerre mondiale pour remplacer les Olympiades ouvrières ? Ou alors comme l’ont essayé, dans les années 1960, les pays non alignés de l’époque comme l’Egypte de Nasser, la Yougoslavie de Tito, l’Inde de Nehru et l’Indonésie de Sukarno, avec les Jeux des forces émergentes (GANEFO). Ces Jeux avaient le soutien de la Chine qui n’avait pas encore rejoint le système olympique. Elle ne le fera qu’en 1979, bien après l’échec de ces GANEFO.
L’alternative russe a peu de chance de succès tant le système sportif international s’est fortement renforcé depuis les années 1960. Mais elle dénote une forte contestation par les régimes autocratiques de l’universalité des valeurs morales que veut porter le sport mondial, tant par rapport à la paix qu’aux droits humains. »