Toutes les candidatures l’affichent et le répètent : les grands événements sportifs internationaux sont créateurs d’emplois. Au sens large. Avec des perspectives souvent inégalées dans les autres secteurs d’activité.
Effet d’annonce ou réalité ? A quelques semaines du Mondial de football au Qatar, et moins de deux ans des Jeux de Paris 2024, FrancsJeux a interrogé un expert, Alain Ghibaudo, fondateur et directeur général de Sportcarrière, membre du GIE France Sport Expertise, premier cabinet de recrutement et de conseil dédié au sport en Europe.
FrancsJeux : Comment se porte actuellement le marché de l’emploi dans l’événementiel et les institutions du sport ?
Alain Ghibaudo : Il se porte très bien, il ne s’est même sans doute jamais aussi bien porté. Et je peux parler d’expérience, pour avoir fondé plus de vingt ans en arrière le premier cabinet de recrutement en Europe dédié au sport. Nous avons commencé à travailler sur les Mondiaux d’athlétisme de Paris-Saint-Denis en 2003, puis les Jeux d’Athènes l’année suivante. A ce jour, nous avons accompagné 15 grands événements sportifs internationaux pour le recrutement des équipes. Au niveau français, par exemple, où nous collaborons avec le COJO Paris 2024 et la Coupe du Monde de rugby à XIII en 2025, on constate une politique très volontariste pour accueillir des grands événements. Elle créé une dynamique assez unique du marché de l’emploi. A lui seul, le COJO Paris 2024 va créer 3.000 à 3.500 emplois directs, un nombre au moins égal sinon supérieur chez ses prestataires. En plus de vingt ans de présence dans ce secteur, je n’ai jamais connu une situation comparable. Nous doublons chaque année notre chiffre d’affaires.
Le marché affiche-t-il le même dynamisme au niveau international ?
Le marché va se déplacer. Après les Jeux de Paris 2024, la dynamique va s’orienter vers l’Amérique du Nord, avec la Coupe du Monde de football en 2026, puis les Jeux d’été à Los Angeles en 2028, et peut-être les Jeux d’hiver en 2030 ou 2034. L’Australie va également avoir besoin d’un grand nombre de talents, avec les Coupes du Monde de rugby féminine et masculine, puis les Jeux de Brisbane en 2032. Le marché de l’emploi dans l’événementiel sportif est encore jeune. Il s’est réellement professionnalisé depuis seulement une vingtaine d’années. La France est en train de monter en expertise. On devrait bientôt voir des tas de petits Français sur le marché, un peu partout dans le monde, comme on rencontre aujourd’hui un peu partout des Grecs issus des Jeux d’Athènes 2004.
Quels sont les métiers les plus recherchés ?
Tous les métiers directement liés à l’événement, à sa production et son organisation. Producteur d’événement, chef de projet, chargé de mission… La billetterie est également un secteur très porteur, tout comme l’hospitalité. Dans ces secteurs d’activité, nous allons très certainement observer des tensions sur le marché. Elles vont également toucher l’univers de la musique, dans sa partie événementielle – concerts, festivals -, où les métiers sont souvent les mêmes. Avec des rémunérations souvent plus intéressantes, le sport va absorber un grand nombre de profils jusque-là dédiés à la musique.
Tous les profils bénéficient-ils de la dynamique actuelle du marché ?
Plus ou moins. L’événementiel sportif a besoin de juniors pouvant présenter un peu d’expérience. Toute une génération de nouveaux entrants qui vont se former rapidement aux métiers du sport. J’ai coutume de dire que les années comptent double dans un comité d’organisation d’un grand événement sportif. Et, bien sûr, les profils plus hiérarchiques, des directeurs de projet très expérimentés.
Où se situent les rémunérations ?
Elles sont correctes, mais sans être exceptionnelles. L’univers de l’événementiel et des instances du sport reste un conglomérat de petites et moyennes entreprises. Les rémunérations sont inférieures à celles de l’industrie du luxe, par exemple, ou des grands groupes du digital. Mais les talents ont désormais le pouvoir, car ils ne sont pas assez nombreux. Cette situation va pousser les salaires à la hausse.
Le marché de l’emploi connaît-t-il le même dynamisme dans les instances du sport ?
Il se passe des choses en ce moment. A la FIFA, par exemple. Elle a délocalisé récemment un bureau à Paris. Cette volonté d’installer en France une sorte de ministère des Affaires étrangères n’est pas innocente. Cela va créer de l’emploi. Aujourd’hui, le bureau compte une quarantaine de personnes, mais on peut imaginer que les effectifs vont augmenter.
Les grands événements sportifs évoluent, sous l’impulsion notamment du CIO, ils se veulent plus durables et responsables. Cette évolution affecte-t-elle le marché de l’emploi ?
Bien sûr. Le CIO a impulsé le mouvement, en mettant l’accent sur la durabilité et l’héritage des Jeux olympiques. Londres 2012 a été la première édition où l’héritage a été intégré dans la préparation des Jeux. Paris 2024 suit aujourd’hui le mouvement. Cette évolution créé des nouveaux métiers, dans les domaines de la RSE, de l’impact et de l’héritage.
Le COJO Paris 2024 a annoncé une politique d’économies, pour faire face à l’inflation et rester dans les clous de son budget. Aura-t-elle un impact sur l’emploi ?
Elle aura un impact sur les salaires. Le COJO a mis très tôt en place une grille de rémunérations précise et réglée. Elle est suivie par un contrôleur financier de l’Etat. Mais les tensions du marché de l’emploi peuvent provoquer des dépassements budgétaires. Peu de gens l’ont encore perçu, mais les talents et les experts métier ont aujourd’hui le pouvoir. Il n’est plus dans les mains des entreprises, des institutions et des organisations. J’ai vu passer des directeurs de production de haut niveau qui n’ont pas accepté pas de réduire leur rémunération pour travailler dans le domaine du sport, même pour un événement exceptionnel.