L’avenir du sport sera-t-il électronique ? Dans le mouvement olympique, les avis divergent. Mais le CIO n’en fait pas mystère : l’eSport ne peut pas être ignoré. Et, avec lui, ses instances et son imposante communauté de pratiquants.
La porte des Jeux leur sera-t-elle bientôt ouverte ? A quelle échéance ? Sous quelle forme ? FrancsJeux a interrogé l’un des acteurs majeurs du débat, l’Américain Vlad Marinescu, réélu en fin d’année passée pour un nouveau mandat à la présidence de la Fédération internationale des sports électroniques (IESF).
FrancsJeux : Comment voyez-vous l’avenir à court terme des sports électroniques dans le mouvement olympique ?
Vlad Marinescu : Thomas Bach a encouragé les fédérations internationales à se lancer dans l’eSport, particulièrement dans sa version de simulation. Cette volonté figure même dans l’agenda 2020+5 du CIO. Elle a été concrétisée en 2021 par la première édition des Olympic Virtual Series, où il était plus question de simulation que de sports électronique purs et durs. Il apparait aujourd’hui assez clair que l’intégration de l’eSport, sous une forme ou une autre, fait partie des plans du CIO. Mais il lui revient de décider comment le faire et quelle direction prendre. De notre côté, nous soutenons bien sûr cette démarche. Mais nous avons surtout la volonté, en tant que fédération internationale des sports électroniques, de promouvoir les valeurs olympiques auprès de notre communauté, et plus largement auprès des jeunes dans le monde entier.
L’entrée de l’eSport dans le programme olympique est-elle possible ?
Nous sommes prêts. Demain, après-demain, plus tard… L’IESF est prête à organiser avec le CIO la présence des sports électroniques aux Jeux olympiques. Le jour où le CIO le décidera, nous serons prêts à mettre en place un processus de qualification. Je ne sais pas où le CIO en est de sa volonté d’aller de l’avant sur cette question, mais nous sommes ouverts à toute forme de collaboration, pour accroitre encore le nombre de téléspectateurs autour des Jeux olympiques, mais aussi éduquer les jeunes sur les sports traditionnels, l’activité physique et la santé.
Serez-vous présent, d’une façon ou une autre, aux Jeux de Paris 2024 ?
A titre personnel, je serai présent via mon sport de coeur, le judo, puisque je travaille depuis 2007 pour la fédération internationale (IJF). En ce qui concerne les sports électroniques, rien n’est encore décidé, la discussion est ouverte. Mais il faut être honnête, rien n’indique aujourd’hui qu’une majorité se dégage, au sein de la communauté des pratiquants de sports électroniques, en faveur d’une participation aux Jeux. La plus grande partie des adeptes en sait peu sur les Jeux et les anneaux olympiques. Il y a toute une éducation à faire ensemble, main dans la main, dans l’intérêt de la jeunesse.
La route des Jeux olympique ne passe-t-elle pas par les étapes intermédiaires des jeux continentaux ?
Nous sommes présents aux Jeux Asiatiques, où l’IESF a collaboré à plusieurs reprises avec l’Association des comités olympiques d’Asie (OCA). Nous avons fait notre entrée à Incheon en 2014, où l’eSport était présenté en sport de démonstration. Quatre ans plus tard, à Jakarta, un événement dédié aux sports électroniques a été organisé dans le cadre des Jeux asiatiques. Nous allons franchir une nouvelle étape lors de la prochaine édition, en Chine en 2023, où l’eSport sera intégré pleinement au programme, avec des épreuves à médailles comme dans toutes les autres disciplines. Mais la démarche d’intégrer des jeux continentaux, européens ou panaméricains par exemple, ne nous appartient. Elle est de la responsabilité de nos instances continentales. Elles ont l’expérience, le réseau et la communauté pour y parvenir.
Les Jeux olympiques de la Jeunesse pourraient-ils servir de laboratoire, avant une éventuelle entrée dans le programme olympique ?
Encore une fois, la décision ne nous revient pas, elle appartient au CIO. Je n’ai pas la prétention de l’influencer d’une manière ou d’une autre sur ce qu’il veut montrer aux Jeux de la Jeunesse ou dans n’importe quel autre événement. Tout ce que je peux dire est que, en qualité de fédération internationale, nous sommes prêts à soutenir toute initiative, à travailler avec le CIO et les autres parties prenantes du mouvement olympique.
Êtes-vous régulièrement en contact avec David Lappartient, le président de l’Union cycliste internationale, en charge pour le CIO de superviser la question des sports électroniques ?
Nous avons travaillé avec David Lappartient dans le cadre du Groupe de liaison sur l’eSport formé à l’initiative du CIO. L’IESF en était membre. Nous allons continuer à l’accompagner. Davis Lappartient a fait un travail fantastique avec l’UCI pour développer, en collaboration avec Zwift, une version électronique du cyclisme. Mais il s’avère qu’une version électronique d’un sport déjà existant ne permet généralement pas d’attirer une nouveau public. Elle ne permet pas non plus d’inciter les jeunes à se mettre à la pratique d’un sport. Les adeptes du cyclisme en ligne, Zwift ou connecté, sont les mêmes qui pratiquent la discipline sous sa forme traditionnelle. Pour attirer les jeunes vers le sport, il faut travailler en étroite collaboration avec la communauté et les acteurs de l’eSport, pour familiariser la jeunesse aux valeurs du sport, puis les motiver à essayer, en utilisant les influenceurs du milieu. Aux derniers championnats du monde de sports électronique, en décembre 2022 à Bali, nous avons proposé une activité physique quotidienne tous les matins – yoga, course à pied, étirements… – aux 600 athlètes venus de plus de 105 pays. Ils ont ainsi pu commencer leur journée avec une certaine forme de préparation physique.
Vous avez été réélu en fin d’année à la présidence de l’IESF. Quelles sont les priorités de votre nouveau mandat ?
En première lieu, l’unité de toute la communauté de l’eSport, avec une fédération nationale dans chaque pays, une confédération continentale et une instance internationale. Cette unité doit s’accompagner d’une coopération étroite avec les éditeurs des jeux. Nous travaillons avec eux depuis 14 ans, lorsque nous avons organisé le premier championnat du monde. Nous allons continuer, car il est indispensable que tous les acteurs de l’écosystème avancent dans la même direction. autre priorité : les athlètes. Je veux les aider à mener une vie plus saine, à faire du sport, à mieux se nourrir et à trouver leur place dans la société. Enfin, nous devons multiplier les échanges, les collaborations et les initiatives communes avec le mouvement sportif international en dehors de la sphère de l’eSport. Le CIO, en priorité, mais aussi les ONG, les Nations Unies… Si nous parvenons à atteindre tous ces objectifs dans les trois prochaines années, nous aurons pris la bonne direction pour renforcer une communauté des sports électroniques jeune, dynamique et intelligente.