Tony Estanguet devra s’y faire : la question russe l’accompagnera à chacun de ses déplacements, dans les semaines et les mois à venir. La réponse ne dépend pas de lui. Le président du COJO Paris 2024 le répète à l’infini. Mais il lui est difficile de s’extraire d’un débat où les intervenants se font chaque jour un peu plus nombreux.
En visite à Marseille en fin de semaine passée pour l’annonce de l’arrivée dans le port de la ville, au printemps 2024, de la flamme olympique, Tony Estanguet a été interrogé sur la possible réintégration des athlètes russes et biélorusses dans les compétitions internationales. Comme lors de ses voeux à la presse, le mois dernier, le triple champion olympique de canoë n’a pas éludé la question. Mais il a rappelé une évidence : la décision lui échappe.
« Mon rôle d’organisateur est d’offrir aux athlètes du monde entier les meilleures conditions d’organisation et de sécurité, a patiemment expliqué Tony Estanguet. Quelles que soient les délégations qui seront autorisées à participer, il faut qu’elles soient en sécurité. » Jusque-là, rien de nouveau sous le soleil.
Mais, surprise, le président du COJO Paris 2024 a osé un pas de plus. Il a suggéré que la position du CIO, déterminé à « explorer la voie » à un retour des athlètes russes et biélorusses, était peut-être la bonne. « Je pense que pour beaucoup d’entre eux, ils ne sont pas du tout impliqués dans ces décisions actuellement, a confié Tony Estanguet. Personnellement, je pense qu’ils n’ont pas à souffrir des conséquences des décisions qui ne les concernent pas. C’est la responsabilité du CIO, de l’IPC et des fédérations internationales de qualifier les athlètes et de décider quelle délégation est éligible ou non. Nous, on attend, on regarde, et on espère qu’un maximum de délégations et d’athlètes pourront vivre leur rêve de participer aux Jeux. »
Prudent, Tony Estanguet se garde bien d’afficher une position trop marquée, dans un sens ou dans l’autre. A la différence de la maire de Paris, Anne Hidalgo, ouvertement favorable à une présence des athlètes russes aux prochains Jeux d’été, il laisse le mouvement olympique trancher le sujet. En croisant les doigts pour que la menace du boycott s’éloigne peu à peu. Pour rappel, le dernier boycott politique des Jeux olympiques remonte à l’édition 1988 à Séoul. La Corée du Nord avait refusé de se rendre chez son voisin du sud.
A moins de 600 jours des Jeux, alors que la billetterie ouvrira vraiment à partir du 15 février, l’éventuel retour des athlètes russes et biélorusses continue de diviser. Deux camps s’opposent, l’un se révélant plus actif que l’autre.
Dans le camp du oui, les Etats-Unis et la Chine pèsent de tout leur poids. Deux mastodontes du mouvement sportif, dont les représentants du comité national olympique étaient invités, en décembre dernier, au Sommet olympique du CIO à Lausanne.
Certes, les Américains insistent pour que le retour des athlètes bannis se fasse sous conditions. La neutralité, d’abord. Une évidence. Mais aussi une sélection des sportifs russes et biélorusses supposés non belligérants. Moins simple à mettre en musique. Mais, à Washington comme à l’USOPC, on se dit favorable à la sortie du tunnel.
Dans le camp adverse, le temps de parole est surtout utilisé par les leaders politiques. Dernier pays en date à se joindre au bloc anti-Russe : le Danemark. « C’est la position officielle du Danemark – et c’est ma position en tant que ministre – que nous ne devons pas vaciller vis-à-vis de la Russie, a expliqué le ministre des Sports, Jakob Engel-Schmidt, lors d’une interview à l’agence de presse Ritzau. La ligne du gouvernement est claire : la Russie doit être bannie de tous les sports internationaux tant que ses attaques contre l’Ukraine se poursuivent. Cela s’applique également aux athlètes russes participant sous un drapeau neutre. Il est totalement incompréhensible qu’il y ait apparemment des doutes sur cette ligne au CIO. »
Le Danemark n’évoque pas ouvertement la menace d’un boycott des Jeux de Paris 2024. L’Estonie, en revanche, ne s’en prive pas. La Première ministre, Kaja Kallas, a expliqué devant les médias : « La participation d’athlètes russes et biélorusses est tout simplement mauvaise. Le boycott est donc la prochaine étape. La Russie a tué des centaines d’athlètes ukrainiens, dont des champions olympiques et des champions du monde. »
Le boycott, donc. Mais l’Estonie, comme ses voisins, l’évoque comme la dernière carte à jouer, la menace ultime.
La Première ministre lituanienne, Ingrida Simonyte, l’a confié aux médias en fin de semaine passée : le boycott « n’est peut-être pas aussi impressionnant que l’exclusion pure et simple des sportifs russes et biélorusses, notre option privilégiée. »
Quant au ministre polonais des Sports, Kamil Bortniczuk, il a expliqué à l’agence de presse PAP que le boycott des Jeux de Paris 2024 serait « un dernier recours. » Avant d’ajouter : « Je donnerais au CIO une chance de réfléchir sans le mettre au pied du mur avec des alternatives aussi fortes pour l’instant. »
Une réunion des ministres des Sports d’une quarantaine de pays européens est prévue vendredi 10 février. Le boycott y sera discuté, tout comme ses alternatives moins radicales.