La solidarité n’est pas seulement une belle idée dans le monde de l’escrime. Elle se traduit dans les actes, avec une dimension concrète, participative et universelle.
Depuis six ans, un programme initié et piloté par la Fédération internationale d’escrime (FIE) permet aux tireurs de haut niveau issus des pays les plus développés de donner une nouvelle vie à leur matériel, en le cédant aux fédérations et clubs des nations moins bien équipées. Son nom : « Fais don de ton matériel d’escrime » (Donate your fencing gear).
Unique en son genre dans le mouvement olympique, le programme a connu un succès immédiat. L’année de son lancement, en 2017, il a été étudié par le CIO pour sa dimension durable, puis présenté par le FIE au Forum des fédérations internationales. Une reconnaissance.
Les explications de la directrice administrative de la Fédération internationale d’escrime, Elena Murdaca, aux manettes du projet depuis son lancement.
Le point de départ. Tout est parti d’un constat. En 2016, année des Jeux de Rio de Janeiro, la FIE se penche sur la question de la solidarité. Elle possède déjà un programme d’aide en matériel destiné aux fédérations nationales, mais il concerne pour l’essentiel la compétition et le haut niveau. Concret, certes, mais jugé insuffisant pour accompagner le développement de la discipline dans les pays modestement équipés. Un groupe de réflexion se penche sur le dossier. L’idée lui vient de mettre en place un dispositif permettant aux tireurs internationaux, cadets, juniors et seniors, de faire don d’une partie de leur matériel à des pays moins bien lotis. En plus de sa dimension solidaire, le programme peut contribuer à bâtir un pont entre le haut niveau et les tireurs débutants. Il s’inscrit également dans la démarche de durabilité de la FIE, en recyclant des dizaines de pièces et en leur donnant une seconde vie. Adopté par le Comité exécutif de la FIE et lancé sous forme de test aux Mondiaux cadets/juniors en 2016, « Fais don de ton matériel d’escrime » débute réellement l’année suivante aux championnats du monde seniors. Le succès est immédiat.
Le fonctionnement. Simple mais diablement efficace. En début d’année, la FIE envoie à ses fédérations nationales un formulaire en trois langues – anglais, espagnol et français – les invitant à détailler leur(s) projet(s) de solidarité. Une information rassemblant les idées retenues est ensuite transmise aux tireurs internationaux. Les donneurs peuvent choisir un projet et/ou un pays spécifique, ou laisser la FIE les inclure dans un pot commun. Aux Mondiaux cadets/juniors et seniors, les deux compétitions annuelles où se retrouve toute la communauté de l’escrime, un stand est dédié au programme. Les donneurs déposent leur matériel – fleuret, sabre ou épée, masque, plastron, lame, chaussures, gants, fils de corps… Il est vérifié par une équipe d’experts afin de s’assurer de son état. Puis il est donné aux bénéficiaires, accompagné d’une lettre authentifiant le don, un document permettant d’éviter les frais de douane. Sur demande, la FIE prend aussi en charge les frais de bagages supplémentaires des bénéficiaires pour le transport du matériel donné. En fin de saison, l’instance dresse un bilan de l’opération, pour informer les donneurs de l’impact de leur geste et de la nouvelle vie de leurs équipements.
Les donneurs. Ils sont issus des pays traditionnels de l’escrime, en Europe pour une grande majorité (France, Allemagne, Italie, Hongrie…), mais également sur les autres continents (Japon, Etats-Unis, Qatar, Egypte, Mexique, Singapour, Australie, Koweït…). Entre 2017 et 2019, pas moins de 350 tireurs ont participé au programme de la FIE en faisant don de leur matériel. Plusieurs centaines de pièces ont ainsi pu changer de mains et de pays. Les fabricants participent également à l’effort de solidarité en confiant du matériel neuf. La Fédération japonaise d’escrime a adopté et reproduit le programme à deux reprises, l’intégrant à sa stratégie de promotion des Jeux de Tokyo 2020 : une première fois en 2017 (photo ci-dessus), lors de la Coupe du Monde Prince Takamado, puis encore 2019 à l’occasion des championnats de zone seniors. Interrompu en 2020 et 2021, faute de compétitions où organiser les dons en raison de la crise sanitaire, le projet a été relancé l’an passé. Il a retrouvé d’emblée sa vitesse de croisière.
Les bénéficiaires. Le programme a essaimé ses graines un peu partout dans le monde. En Amérique du Sud, le Brésil, le Pérou et la Colombie en ont bénéficié. En Océanie, les escrimeurs de Guam et des Samoa américaines ont hérité d’équipements cédés par des athlètes de l’élite. En Asie, les Philippines et le Kirghizistan figurent dans la liste des nations bénéficiaires. En Afrique, les dons ont contribué au développement de la pratique au Sénégal, au Kenya, au Bénin et au Rwanda. Lors de la première édition du programme, un lot de sabres donné par le Hongrois Aron Szilagyi, triple champion olympique, était destiné à un club d’une favela de Rio de Janeiro. Problème, la discipline n’y était pas pratiquée. Un club de Sao Paulo rompu à la pratique du sabre a été sollicité. Il a proposé son aide pour débuter une formation. Depuis, le Brésil a gagné un nouveau groupe de sabreurs. Pour l’année 2023, le programme compte parmi les bénéficiaires la Colombie, le Kirghizistan, le Liban, le Pakistan et le Sénégal. L’équipement sera reçu et redistribué lors des championnats du monde cadets/juniors à Plovdiv, en Bulgarie, puis seniors à Milan, en Italie.