FrancsJeux : La diplomatie sportive – le soft power – est souvent présentée comme étant l’affaire des Etats. Votre livre s’intéresse pourtant aux villes françaises et à leur stratégie de rayonnement par le sport…
Lukas Aubin : La géopolitique concerne tous les territoires, pas seulement les Etats, même si elle est souvent perçue par le prisme des conflits ou de la guerre froide. Le livre part de l’hypothèse qu’il existe une géopolitique du sport à l’échelle de tous les territoires, dont les villes, et qu’elle s’exporte à l’international. Paris, bien sûr, mais aussi Marseille, Lyon, Nice ou Lille ont mis en place des politiques sportives tournées vers l’étranger. Les villes font de la diplomatie sportive, mais parfois sans le savoir. J’ai interrogé une quinzaine d’élus locaux, dans des villes de taille différente. Je leur ai demandé s’ils utilisaient le sport avec une perspective internationale. La plupart d’entre eux m’ont répondu par la négative. En réalité, ils le font, mais sans en avoir forcément conscience.
La France est-elle plutôt en avance, ou au contraire en retard, par rapport aux autres grandes puissances sportives ?
On pense qu’elle est en retard, car la notion de diplomatie sportive est assez récente en France. Elle a commencé à apparaitre en 2014 ou 2015, lorsque Valérie Fourneyron était ministre des Sports. Les Etats-Unis et la Chine en font depuis les années 70. La Russie l’a mise en place en 2009. L’échec de Paris dans la course aux Jeux olympiques en 2012 a été un électrochoc. Il a provoqué une prise de conscience de l’importance d’utiliser le sport comme un outil politique et diplomatique. La France avait du retard, elle est en train de le rattraper. Depuis trente ans, la France accueilli les événements sportifs les plus importants, dont la majorité ont impliqué plusieurs villes : les Jeux d’Albertville en 1992, le Mondial de football en 1998, l’Euro de football en 2016, la Coupe du Monde de rugby en 2023, et maintenant les Jeux de Paris 2024, avant les Jeux d’hiver en 2030 dans les Alpes françaises. Bout à bout, cette succession de rendez-vous sportifs place la France dans le top 5 mondial.
Avez-vous établi une hiérarchie des villes françaises selon leur rayonnement à l’international ?
Paris est évidemment aujourd’hui la plus visible, la seule dont l’image sportive parle à la planète entière. Elle va organiser les Jeux olympiques et paralympiques, avec une audience estimée à 4 ou 5 milliards de personnes. Son aura passe par le sport. Les autres villes françaises ont des stratégies plus localisées. Marseille, par exemple, se concentre sur l’espace méditerranéen, via notamment des partenariats en Grèce et en Afrique du Nord. Lille est plus tournée vers le Royaume-Uni.
Les Jeux de Paris 2024 vont mettre en avant d’autres villes françaises, moins connues à l’étranger. Châteauroux, par exemple, hôte des épreuves de tir. Peuvent-elles en profiter pour se donner une image sportive ?
Ca n’est pas systématique. On constate souvent un effet rebond : la ville est très exposée pendant l’événement et les semaines qui suivent. Mais le phénomène redescend rapidement. Pour en profiter sur la durée, il faut mettre en place une stratégie sportive. Elle peut reposer sur plusieurs choses : se présenter comme une ville ultra spécialisée dans un sport ou un secteur, comme Caen pour l’équitation depuis les Jeux équestres mondiaux en 2014 ; ne pas s’en tenir à un coup d’essai, mais accueillir régulièrement des événements sportifs ; mettre en avant ses atouts naturels et ses équipements.
Les villes hôtes de la Coupe du Monde de rugby 2023 en France, et celles des Jeux de Paris 2024, se sont regroupées au sein d’une association, Territoires d’Evénements Sportifs (TES). Est-ce indispensable pour renforcer sa stratégie sportive ?
Il est très difficile, pour une ville, d’exister seule face aux questions sportives. A l’exception de Paris, bien sûr. En se regroupant, les villes peuvent développer une stratégie commune, trouver des alliés, peser de tout leur poids mais en mettant en avant leur diversité… Le travail fait par TES va dans ce sens : rassembler les villes pour une meilleure exposition et une stratégie commune.