Le compte-à-rebours est terminé. Presque sept ans après la session de Lima, où le CIO a attribué à Paris les Jeux olympiques et paralympiques de 2024, la capitale française accueille le monde.
A quelques heures d’une cérémonie d’ouverture qui marquera un tournant dans la longue histoire de l’olympisme, FrancsJeux fait le choix de donner la parole à un athlète ukrainien. Oleksiy Sereda, 18 ans, désigné l’an passé meilleur plongeur européen par European Aquatics, dispute à Paris ses deuxièmes Jeux olympiques. Il participera à l’épreuve du haut vol 10 m synchronisé.
Aux Jeux de Tokyo 2020, il avait terminé deux fois à la sixième place, à seulement 15 ans. Depuis, le jeune Ukrainien a décroché trois médailles aux championnats du monde à Doha en 2024. Depuis, surtout, son pays a été envahi par les forces armées russes, sa ville natale, Mykolaiv, a été partiellement détruite et la guerre a fait voler en éclats son insouciance et ses rêves de jeunesse.
FrancsJeux : Dans quelles circonstances avez-vous appris le début de l’invasion russe, le 24 février 2022 ?
Oleksiy Sereda : Je me réveille généralement à six heures du matin pour prendre mon petit-déjeuner avant de m’entraîner. À l’époque, je partageais ma chambre avec Kirill Bolyukh (un autre plongeur ukrainien), qui se levait toujours plus tard que moi lorsque l’alarme sonnait. Mais le 24 février, il s’est réveillé avec un appel de sa mère. Je me suis demandé pourquoi elle l’appelait si tôt. Lorsqu’il a commencé à lui parler, son visage a changé. Il a raccroché et m’a dit : « La guerre ». Je suis immédiatement allé sur YouTube et j’ai vu des informations indiquant qu’une invasion à grande échelle avait effectivement commencé.
Vous êtes originaire de Mykolaiv et, pendant l’un des bombardements russes, la maison de vos parents a été endommagée. Comment l’avez-vous vécu ? Où étaient vos parents à ce moment-là ?
Nous avons une maison de trois étages à Mykolaiv, et un fragment de missile russe a touché les deux derniers étages. Mon père a réparé le troisième étage pour que la maison reste chaude, mais il reste un trou béant au deuxième. Heureusement, la nuit où le fragment a touché notre maison, mon père était absent. Il logeait chez un ami. Personne n’a été blessé.
Parlez-nous de votre ville. Qu’est-elle devenue depuis le début de l’invasion russe ?
J’ai vécu à Mykolaiv pendant dix ans. À 4 ans, j’ai commencé à plonger, si bien que tous mes souvenirs se rapportent à la piscine, à la maison et à l’école. Mais Mykolaiv a toujours été un endroit où j’aimais me reposer. Comme un nid, douillet, confortable et familial. C’est pourquoi j’aime cet endroit. Beaucoup de choses ont changé en deux ans. Il y a beaucoup de bâtiments détruits et d’installations endommagées dans la ville. Je ne parle même pas de tous les habitants disparus depuis deux ans.
Vous avez été désigné l’an passé meilleur plongeur européen par European Aquatics. Que représente cette distinction ?
Elle était pour moi, pour mes performances, mais aussi pour mes entraîneurs et tous ceux qui travaillent avec moi – chorégraphes, masseurs, médecins, spécialistes de la rééducation… Je dois aussi associer le président de notre fédération, Ihor Lysov, car il a mis en place toutes les conditions nécessaires pour ma préparation. Mais le plus important, c’est que je peux m’entraîner, me préparer aux compétitions et vivre. Et cela, je le dois aux hommes et aux femmes qui défendent notre pays.
Parlons des Jeux de Paris 2024. La guerre a-t-elle modifié votre regard et votre attitude par rapport à cet événement ?
A Paris, j’aurai plus de responsabilités. Aux Jeux de Tokyo 2020, j’étais encore très jeune, sans réelle expérience. Maintenant, j’ai acquis l’expérience qui me manquait. Je sais que je peux monter sur le podium. Si j’ai cette chance, ma médaille ne sera pas seulement la mienne, elle sera aussi aussi celle du peuple ukrainien. La guerre a eu un impact considérable sur notre préparation. Nous sommes obligés de descendre dans l’abri anti-bombes à chaque attaque, nous manquons parfois l’entraînement à cause des raids aériens ou des bombardements. Ma préparation est devenue physiquement et mentalement différente de celle de mes adversaires. Lorsque je m’entraîne, je m’inquiète pour mon père et ma sœur, qui sont à Mykolaiv, sous les tirs. Parfois, il m’est très difficile de me concentrer pleinement sur l’entraînement.
Le CIO a autorisé des athlètes russes et biélorusses à participer aux Jeux de Paris 2024. Que vous inspire cette décision ?
Elle est injuste. Lorsque nous entendions les alarmes de raids aériens et que nous devions rester longtemps assis dans des abris antiatomiques, les athlètes russes et biélorusses pouvaient s’entraîner normalement. Comment un pays qui tue des civils peut-il être admis dans le monde civilisé ? Cette décision est inhumaine.
La guerre vous a-t-elle profondément changé ? A-t-elle modifié votre regard sur le monde ?
Depuis le début de la guerre, j’apprécie davantage les petites choses de la vie. Je me souviens que lorsque nous étions privés d’électricité pendant un ou deux jours, et qu’elle était enfin rétablie, nous nous réjouissions comme s’il s’agissait d’un jour férié.Tous les problèmes, les tracasseries, qui me semblaient graves avant le 24 février 2022 m’apparaissent aujourd’hui beaucoup moins importants.