Le chiffre interroge. En 2023, les fusions et acquisitions dans le secteur du sport ont battu tous les records à l’échelle mondiale. Ils ont grimpé de 27 % en valeur, pour atteindre un montant de 25 milliards de dollars. Dans le même temps, les transactions mondiales ont chuté de 50 %.
Le constat s’impose : les fonds d’investissement étrangers n’ont jamais autant lorgné sur le sport, ses clubs et ses entreprises. Pourquoi ? Avec quelles perspectives ? Le GIE France Sport Expertise a ouvert le dossier et réalisé une étude inédite sur le sujet. Sa présidente, Claude Revel, a répondu aux questions de FrancsJeux.
FrancsJeux : Pourquoi les fonds d’investissement s’intéressent-il aujourd’hui autant au sport professionnel ?
Claude Revel : Les raisons sont multiples, mais elles ne sont ni sociales ni philanthropiques. Leur présence de plus en plus importante dans le sport répond à un intérêt. Il est d’abord financier. Les clubs professionnels de football, notamment, peuvent représenter un excellent investissement. Ils peuvent se revendre après quelques années et permettre une plus-value. Un fonds peut également y trouver des actifs, immobiliers bien sûr, mais aussi humains. Les joueurs constituent un marché florissant, qui peut laisser envisager des recettes pour l’investisseur. Autre raison : les données. Elles représentent aujourd’hui une nouvelle richesse. Les clubs en possèdent en grand nombre – adhérents, joueurs, partenaires -, toujours intéressantes à exploiter dans la perspective de lancement de nouveaux produits. Enfin, le sport s’avère pour les fonds souverains, au Qatar et en Arabie saoudite notamment, un outil d’influence.
Votre étude révèle que les fonds d’investissement se sont d’abord intéressés au sport en Europe, plutôt qu’aux Etats-Unis. Comment l’expliquer ?
L’Europe est plus ouverte aux investisseurs étrangers. Ses frontières sont moins fermées. C’est vrai dans tous les domaines, dont le sport. Aux Etats-Unis, les ligues et les clubs sont souvent plus structurés, donc moins ouverts à l’extérieur. Et, paradoxalement, les Etats-Unis font beaucoup plus attention à rester américains.
La France est-elle une cible prioritaire des fonds d’investissement ?
Elle les intéresse beaucoup, c’est une évidence. La France possède des clubs et des entreprise du secteur sportif de très bonne qualité, mais aussi un grand nombre d’athlètes de haut niveau et de bonnes infrastructures. Elle est très bien équipée. Le potentiel est considérable, avec des perspectives de développement importantes car la population française peut être encore plus massivement drainée vers le sport.
Les fonds s’intéressent-ils seulement au football ?
Le football est évidemment leur cible prioritaire, mais il n’est pas la seule. Le rugby commence lui aussi à attirer les fonds d’investissement. Plusieurs autres sports pourraient suivre. Le phénomène n’est pas tout à fait nouveau, mais il va encore nettement s’amplifier. Une information récente en apporte certainement la meilleure preuve : l’annonce en février dernier par JP Morgan et Goldman Sachs de leur décision d’ouvrir une unité dédiée au sport. Quand deux banques d’affaires s’intéressent à un secteur, il y a de fortes chances que le mouvement prenne encore plus d’ampleur.
Nous n’en serions donc qu’au début ?
J’en suis certaine. Les clubs et les entreprises du sport sont en pleine croissance, sans signaux de ralentissement à court terme. En France, notamment, les perspectives sont très bonnes. Mais il faut espérer que le secteur ne soit pas seulement occupé par des fonds étrangers. Il serait souhaitable que des fonds français s’intéressent à leur tour au sport, ou mieux encore qu’un intérêt se manifeste de la part de structures publiques. Je pense surtout à Bpifrance, la banque publique d’investissement.
L’arrivée massive des fonds d’investissement est-elle une bonne nouvelle pour le sport, ou au contraire un risque pour son avenir ?
Les deux. Les clubs professionnels, et au-delà les fédérations, en ont besoin. La présence des fonds remplit un vide. Mais s’ils se mettent à prendre le contrôle, le modèle sportif ne sera plus le même. Les règles pourraient changer pour répondre à des intérêts essentiellement financiers. Avec la perspective, par exemple, d’en arriver à des ligues fermées. Les fonds d’investissement répondent à un besoin, mais ils ne doivent pas pouvoir changer le jeu. L’équilibre n’est pas facile à trouver.