
Les membres du CIO choisiront leur nouveau président jeudi, à Costa Navarino (Grèce). Sept candidats lorgnent le siège de Thomas Bach : Kirsty Coventry, David Lappartient, Johan Eliasch, Juan Antonio Samaranch Jr, Sebastian Coe, le Prince Feisal et Morinari Watanabe. Qui sera l’élu ? Éléments de réponse avec Jean-Loup Chappelet, professeur honoraire à l’Université de Lausanne et spécialiste reconnu du mouvement olympique.
Pourquoi estimez-vous que cette élection est « plus ouverte que jamais » ?
Il y a très longtemps qu’il n’y a pas eu sept candidats. À ma connaissance, c’est même unique. La dernière fois, il étaient cinq, mais avec un très grand favori, Thomas Bach, qui a été élu. Les fois précédentes, il n’y avait que trois ou quatre candidats tout au plus. Sept, c’est absolument unique. Les premiers tours serviront à éliminer. Ensuite, peut-être qu’un candidat se détachera. Il est possible, comme au conclave de l’Église catholique, que les membres se reportent en masse sur celui-ci. Les votes ne seront pas communiqués d’un tour à l’autre, on saura simplement qui est éliminé, donc peut-être que ce mécanisme sera plus dur à enclencher, mais les membres parleront probablement entre eux. Ils verront si l’un des candidats se détache. Cela peut prendre du temps.
C’est une bonne chose ?
Oui, c’est très bien pour la démocratie ! C’est mieux que si on n’avait qu’un ou deux candidats, ce qui limiterait les choix. Peut-être que la campagne n’est pas aussi ouverte que ce qu’on aurait souhaité mais finalement, ce sont les membres du CIO qui votent. Cela ne représente qu’une centaine de personnes donc ce n’est pas non plus la peine de se répandre partout, ce qui aurait des coûts pour les candidats.
Sur quoi se fera la différence selon vous ?
Sur la connaissance des membres. Je suis persuadé, comme dans d’autres élections, que l’on vote pour les gens que l’on connaît, ceux avec qui on a des atomes crochus. Je pense que la longévité au sein du CIO est plus importante que tout. Les membres qui sont là depuis le plus longtemps ont eu l’occasion de rencontrer plus d’autres membres, donc potentiellement de faire plus de contacts et d’être connus. Ceux qui sont là depuis moins longtemps n’ont pas eu l’occasion d’interagir avec ceux qui vont voter et sont donc moins connus, même s’ils ont une certaine aura médiatique.
Cela se jouera donc plus sur le réseaux que sur les idées ?
Disons que les idées peuvent repousser ! Certaines ont été mises en avant, par exemple celle, assez révolutionnaire, d’organiser les Jeux sur cinq continents en même temps. Cette idée peut plaire à certains, mais aussi repousser beaucoup d’autres, car trop révolutionnaire. Le CIO est une organisation assez conservatrice. Il a fait évoluer les Jeux olympiques au fil des olympiades, mais pas avec de grands bouleversements.
David Lappartient a parlé de mener une évolution plutôt qu’une révolution. C’est la ligne directrice à suivre ?
Je crois que c’est une très bonne formule. Les médias ont essayé d’interroger les candidats sur des points de friction potentiels, comme la participation des Russes, le dopage, etc. Mais la position du CIO, qui n’est pas un État, ne peut être qu’une évolution et une adaptation à la société, à la façon dont le monde fonctionne. C’est ce qui s’est passé avec l’amateurisme : c’était au départ un credo fondamental, et petit à petit, il a disparu. Il a été mis de côté, simplement parce que ça n’avait plus sa raison d’être dans le monde de la fin du XXe siècle, alors que c’était la base même au début du siècle.
Quels candidats se dégagent comme favoris ?
C’est très difficile de répondre. On peut citer plusieurs noms, par contraste avec ceux qui risquent de ne pas être élus. Je pense que trois ou quatre candidats se détachent. Sans ordre particulier, je citerais David Lappartient, Juan Antonio Samaranch, Kirsty Coventry et Sebastian Coe.
Pourtant, David Lappartient n’est membre du CIO que depuis 2022.
Oui, mais il est président d’une fédération internationale et d’un CNO. Apparemment, il a plu en Afrique et il y a de nombreux membres africains du CIO aujourd’hui. Cela reste mon opinion, je me suis souvent trompé ! Je cite quelques noms qui me semblent se détacher, aussi au regard de leurs manifestes, qui constituent quand même la base. J’espère que beaucoup de membres du CIO les ont consultés. Ces documents sont disponibles depuis novembre, un certain nombre de choses sont écrites et peuvent potentiellement faire voter ou non.
Quels atouts voyez-vous chez les quatre candidats que vous citez ?
Je pense qu’au delà de la présence au CIO depuis un certain temps et de la connaissance des membres, il y a la question de l’image que le CIO peut vouloir donner vis-à-vis de l’extérieur. C’est difficile pour un président de FI de devenir président du CIO, ça n’a jamais été le cas sauf avec Sigfrid Edström, qui était président de la fédération internationale d’athlétisme. En général, c’est quelqu’un qui vient des CNO qui est élu. De ce point de vue, c’est un plus pour Samaranch, Lappartient et Coventry. Pour Lappartient, il y a la dimension jeunesse – pour Coventry aussi, mais elle est presque trop jeune. C’est un mouvement qui vit sur son image malgré tout. L’image qu’il projette est très importante, je pense que les membres du CIO en sont parfaitement conscients. Concernant Coe, il est clair pour moi que les Russes et leurs alliés ne veulent pas de lui. Mais il pourrait du coup rassembler les voix de ceux qui s’opposent aux Russes. Sa cote a remonté ces derniers jours, je pense qu’il sera dans le dernier carré.
Même si vous décrivez le CIO comme une organisation « conservatrice », vous croyez que les membres pourraient voter pour une femme africaine ?
Cela me semble un petit peu trop tôt. Elle aura probablement d’autres occasions car elle n’a que 41 ans, ce qui lui laisse encore 30 ans devant elle. Les membres vont peut-être trouver que cela arrive trop tôt cette année, mais c’est important qu’une femme soit candidate. Il aurait pu y en avoir plus, mais en avoir une est déjà un bon signe.
Le CIO sortira-t-il renforcé de cette campagne, nourrie par beaucoup de réflexions, compte tenu de la diversité des candidats ?
Oui, il y a des idées. Par exemple, organiser les Jeux en Afrique. C’est sûrement une possibilité dans le futur. Tenir compte de la durabilité, en particulier pour les Jeux d’hiver. On parle de rotation entre différentes villes, certains proposent aussi de changer le timing des Jeux. Avoir les Jeux d’hiver dans l’hémisphère sud, ça voudrait dire en été pour l’Europe, et c’est sans doute un petit peu tôt. Mais avoir les Jeux d’été en octobre, novembre, décembre, c’est tout à fait envisageable. Ça a été fait pour la Coupe du mode de football, et ça permettrait à des pays du Moyen-Orient, ou d’autres, d’organiser plus facilement les Jeux. Je pense aussi que le nouveau président sera beaucoup plus légitime et pourra parler au nom de tous ses collègues, mais aussi du sport en général, car l’élection aura été très démocratique, avec sept candidats. Ça montre aussi l’importance du poste. En 1952, il y avait beaucoup d’hésitation pour savoir s’il fallait élire un Britannique ou un Américain. Cela avait nécessité de nombreux tours. Mais une fois élu, Avery Brundage a été largement soutenu et réélu.