Candidatures

« Les Américains ne seront pas imbattables »

— Publié le 2 juin 2014

Peu de gens connaissent aussi bien l’univers olympique que le Suisse Denis Oswald. Membre du CIO depuis 1991, l’ancien rameur y a multiplié les missions et les fonctions, présidant notamment la commission de coordination des Jeux de Londres en 2012. Une expertise qui donne toute sa valeur à son analyse des deux prochaines courses aux Jeux olympiques, ceux d’hiver en 2022 et la version estivale en 2024. Il a répondu aux questions de FrancsJeux à l’occasion des championnats d’Europe d’aviron, du 30 mai au 1er juin à Belgrade.

FrancsJeux : Que vous inspire la course aux Jeux d’hiver en 2022, où la liste des villes candidates ne cesse de diminuer ?

Denis Oswald : Elle est préoccupante. La liste ne compte plus que quatre villes, et il n’est pas exclu qu’elle se réduise encore. Oslo doit faire face à une forte opposition. Et Lviv, en Ukraine, n’a pas actuellement la sérénité nécessaire à un tel projet. Avoir finalement deux candidates (Almaty et Pékin) nous laisserait peu de choix. On peut se demander si le phénomène est seulement passager, ou si les Jeux sont devenus trop grands et trop coûteux et font désormais peur aux pays qui veulent se lancer.

Quel est votre avis ?

L’avenir le dira, mais la crainte est réelle. En Suisse avec Saint-Moritz, en Suède avec Stockholm et en Pologne avec Cracovie, c’est la population qui a dit non. On leur a peut-être mal expliqué que l’organisation des Jeux en elle-même est financée par des fonds privés, sans dépenses publiques. Mais, dans certains cas, les projets vont au-delà de ce qui est nécessaire en termes d’investissements. Un effort de communication doit être fait, notamment par le CIO. Dans le même temps, les villes candidates doivent se limiter aux seules dépenses dont elles ont vraiment besoin.

Le mouvement olympique ne paye-t-il pas les excès dispendieux des Jeux de Sotchi ?

Sotchi était un cas très particulier. Les Russes avaient besoin de refaire leur retard en matière d’infrastructures de sports d’hiver. Ils l’ont comblé tout en organisant des Jeux d’hiver. La réflexion n’était pas mauvaise, mais sa perception a effectivement été très négative.

L’exemple de Sotchi et les retards actuels des Jeux de Rio ne vont-ils  pas favoriser des candidatures présentant le moins de risques possibles ?

Peut-être. Avec Tokyo 2020, nous avons l’espoir d’un dossier beaucoup plus sûr, même si une certaine pression se fait déjà sentir pour faire moins et à moindre coût.

Le CIO se penche actuellement sur la possibilité de rendre le processus de candidature moins complexe et coûteux. Est-ce la bonne solution ?

C’est une bonne idée. Mais je me souviens qu’en 2003, un rapport avait été demandé à une commission dirigée par Dick Pound pour rendre les candidatures moins coûteuses. Mais rien n’a vraiment changé.

Que pensez-vous de la façon dont la France prépare actuellement une candidature de Paris pour les Jeux de 2024, avec la mise en place d’une douzaine de groupes de travail invités à mener une étude d’opportunité ?

C’est une manière intelligente de s’y prendre. Avant de se lancer dans la bataille, il est important de savoir ce que l’organisation des Jeux implique pour une ville et un pays. Nous verrons le résultat de ces cogitations.

Le départ de Jean-Claude Killy du CIO n’arrive-t-il pas au plus mauvais moment pour le projet français ?

Je ne crois pas. Jean-Killy n’a pas besoin d’être membre du CIO pour jouer un rôle important dans une candidature. S’il veut s’investir, il pourra le faire avec la même influence. Mais s’investira-t-il ? C’est sa décision. Il faudra qu’il soit convaincu.

Pour les Jeux d’été de 2024, les Etats-Unis ne sont-ils pas déjà imbattables ?

On ne peut jamais dire qu’une candidature olympique est imbattable. Rappelez-vous les Jeux de 1996 où Athènes semblait sûre de l’emporter. Nous étions même surpris de voir d’autres villes se lancer dans la course. Finalement, les Jeux ont été à Atlanta. Pour 2024, il y a une velléité des Etats-Unis de les avoir. Leur candidature sera forte. Mais les derniers dossiers qu’ils ont présentés n’ont pas été choisis, et cela n’avait rien à voir avec un anti-américanisme du CIO, comme les Américains le prétendent. Ils n’étaient simplement pas bons. Pour les Jeux de 2016, par exemple, Chicago a été battu au 1er tour car sa candidature était la plus faible. Les Etats-Unis seront forts mais pas imbattables. Et il y aura beaucoup de sympathie pour Paris.