La presse américaine possède un sens consommé du décalage. La version magazine du Boston Globe, le premier quotidien de la capitale du Massachusetts, en a encore fait la démonstration. Son dernier numéro, publié en cette fin de semaine, consacre sa Une aux « Bostoniens de l’année ». Un classique du journalisme. Mais le choix de la rédaction du Boston Globe Magazine se révèle nettement plus inattendu. Deux hommes se partagent les honneurs: John Fish, le milliardaire américain à la tête de Boston 2024 (à gauche sur la photo), et Chris Dempsey, le principal opposant à la candidature olympique de la ville, animateur du groupe No Boston Olympics (assis à droite). Le pour et le contre d’un projet annoncé un temps comme favori dans la course aux Jeux, avant de faire flop et plonger le comité olympique américain (USOC) dans un réel embarras.
La rédaction du Boston Globe a réuni les deux hommes, pour une photo souvenir et un long entretien de plus d’une heure. Une rencontre décrite par la journaliste en charge du sujet comme « amicale, courtoise et constructive ». Les deux hommes se seraient découverts plus de points communs qu’ils l’imaginaient. Sur le papier, ils semblent pourtant très éloignés l’un de l’autre.
John Fish, 55 ans, dirige le groupe Suffolk Construction. Sa fortune est réelle, son réseau très influent. Aux premières semaines du projet olympique, il a convaincu un solide panel de chefs d’entreprise de monter à bord et de s’engager dans l’aventure. Son « empire » pèserait aujourd’hui 2,7 milliards de dollars. Chris Dempsey, 33 ans, a travaillé un temps au département des transports de l’état, avant d’entrer en politique et accompagner notamment le Congressiste Joe Kennedy III.
A l’heure de se pencher sur leurs longs mois de campagne, l’un pour la candidature olympique, l’autre pour l’envoyer aux oubliettes, John Fish et Chris Dempsey n’avouent aucun regret. « Je ne regrette pas une seconde d’avoir essayé, je le referais sans une hésitation », avance John Fish. « Nous pouvons être fiers de la démarche que nous avons initiée et de la façon dont elle a pu rassembler autant de gens différents venus de toute la ville et de tout l’état, suggère Chris Dempsey. Nous devons maintenant entretenir cette dynamique et continuer à inciter les habitants à s’interroger sur l’avenir de leur ville. »
Pour John Fish, il ne fait aucun doute, même après l’échec du projet, que les Jeux auraient changé pour toujours Boston et ses environs. « A l’arrivée, l’impact aurait été positif et l’héritage indiscutable », insiste-t-il. Chris Dempsey, lui, soutient toujours le contraire.
Mais l’expérience olympique a enseigné aux deux hommes une leçon commune: l’importance de tenir compte de l’avis de la population avant d’engager un projet aux dimensions d’une candidature aux Jeux d’été. « L’expérience m’a rendu très humble, a expliqué John Fish au Boston Globe Magazine. Elle m’a aidé à comprendre la nécessité d’impliquer le public dès le premier jour. J’ai aussi réalisé qu’il est encore plus important de l’informer et le consulter sur tous les aspects du processus. » Une leçon pour John Fish. Et, plus encore, pour les autres villes candidates.