A 73 ans, Dick Pound (notre photo) sait que ses jours dans le mouvement sportif sont désormais comptés. Mais le Canadien, devenu cette année le doyen des membres du CIO, peut sérieusement envisager une reconversion dans l’industrie du spectacle. Président de la commission indépendante de l’Agence mondiale antidopage, il avait convoqué jeudi 14 janvier à Munich une conférence de presse présumée « explosive ». Elle devait présenter les conclusions de la deuxième partie du rapport sur le dopage dans l’athlétisme, lourd de 89 pages. Lui-même avait fait monter la sauce, depuis plusieurs jours, en distillant avec habileté quelques pincées d’infirmations. Les médias avaient mordu à l’hameçon, convaincus de voir le sang couler et les têtes tomber.
A la vérité, l’exercice s’est révélé décevant. Un soufflé mal monté. Beaucoup de bruit pour rien. Dick Pound a expliqué que « la corruption était partie intégrante » de l’IAAF. Pas nouveau, mon capitaine. Il a assuré que les dirigeants de l’instance, en premier lieu Lamine Diack, son ancien président, « ne pouvaient pas ignorer l’ampleur du dopage » et du système mis en place. Tout le contraire d’un scoop.
Il a encore une fois tapé sans ménagement sur la Russie, seulement sur la Russie. La corruption « ne peut être attribuée seulement à quelques brebis galeuses agissant de façon isolée », insiste le rapport en précisant que l’IAAF n’as pas été « assez ferme avec un certain nombre de pays, dont la Russie ». Une forme d’acharnement, tellement systématique qu’il en devient douteux. Le ministre russe des Sports, Vitaly Mutko, n’a pas apprécié. Depuis Moscou, il a jugé le rapport de l’AMA « très politique ». On le comprend.
Pour le reste, rien de très croustillant. Dick Pound s’est montré étonnement clément avec Sebastian Coe, le président de l’IAAF. « Si Coe avait été au courant de la corruption, il serait intervenu », a suggéré le Canadien, sans craindre de contredire ses propres déclarations publiées la semaine passée le Times, où il avançait que le Britannique « avait eu l’occasion, il y a bien longtemps, de s’emparer des problèmes ». Présent dans la salle, Sebastian Coe a bu du petit lait. Il s’attendait au pire. Il est reparti de Munich en bombant le torse.
Dick Pound avait laissé entendre que le Kenya en prendrait pour son grade. Il avait glissé, sans vraiment y toucher, que la Jamaïque pourrait se retrouver sous le feu des critiques. A l’arrivée, rien de rien. Pas un mot sur les performances des athlètes jamaïcains. Quant aux Kényans, ils peuvent encore dormir sur leurs deux oreilles. « Nous savons qu’il y a un problème, mais nous n’avons pas enquêté sur le Kenya, cela ne faisait pas partie de notre mandat, a expliqué Dick Pound. Mais il pourrait y avoir une autre commission d’enquête indépendante pour jeter un oeil au Kenya, une fois que la fumée se sera dissipée. »
La véritable « bombe à retardement » de son rapport, la commission indépendante de l’AMA l’a cachée au bas de la page 34 de son rapport. A la note n°36, elle explique que des discussions entre des officiels turcs et Khalil Diack, consultant indépendant de l’IAAF et fils de Lamine Diack (encore un), font référence à l’attribution des Jeux d’été de 2020. Bizarre. Curieux, même. La suite est du même tonneau. La note n°36 précise que la Turquie, candidate avec Istanbul, a perdu le soutien de Lamine Diack pour ne pas avoir versé 4 à 5 millions de dollars à la Ligue de Diamant ou directement à l’IAAF. Le rapport indique les Japonais, eux aussi candidats avec la ville de Tokyo, auraient payé cette somme.
En première lecture, une telle révélation pourrait laisser supposer que Tokyo l’a emporté face à Istanbul pour l’organisation des Jeux de 2020 pour un chèque de quelques millions d’euros payé à l’IAAF. Simpliste. Certes, le Japon a su s’attirer les bonnes grâces de Lamine Diack. Istanbul, non. Mais au deuxième tour de scrutin, en septembre 2013, Tokyo l’avait emporté sur le score sans nuance de 60 voix à 36. Un succès trop large pour être attribué à l’influence, pour le moins douteuse, du dirigeant sénégalais.
Il n’empêche, la note n°36 du rapport de l’AMA donne à penser que tout continue à s’acheter dans le mouvement olympique. Les voix, surtout.