Incroyable. Effrayant. Ubuesque. Une bonne poignée d’adjectifs conviendrait pour qualifier l’histoire qui va suivre. Un récit encore passé sous silence, mais qui laisse perplexe. Sur le fond, et plus encore sur la forme. Il concerne la Fédération française de triathlon (FFTRI), l’une des plus dynamiques du sport national, forte de 100.000 pratiquants, dont les effectifs enregistrent une hausse d’environ 10% par an.
Installée depuis près de 20 ans dans la ville de Saint-Denis, au nord de Paris, la Fédération se sentait à l’étroit dans ses locaux. Les conditions de travail de sa vingtaine de salariés devenaient difficiles. Il était devenu quasi impossible à ses élus, faute de place, de tenir leurs réunions. Fin 2012, la FFTRI a franchi le pas. Elle a fait l’acquisition d’un nouveau siège fédéral, situé au n° 31 du boulevard Marcel Sembat à Saint-Denis (notre photo). Un immeuble anciennement utilisé par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie. Une partie de l’année 2013 a été consacrée à l’élaboration de plans d’aménagement et à l’estimation des travaux. En octobre 2013, son comité directeur a validé un engagement de 400.000 euros de travaux pour transformer le futur siège.
Jusque-là, rien de très inattendu. Mais la suite le devient. Alors que les travaux allaient débuter, la Fédération française de triathlon a découvert que son bien immobilier avait fait l’objet d’une effraction, suivie d’une occupation illégale des lieux. En clair, ses futurs locaux étaient squattés, au moins depuis le 28 octobre 2013, date à laquelle EDF indique avoir ouvert, sans formalités particulières, un contrat à un autre abonné.
Premier coup de massue. Le deuxième n’est pas le moindre. Comme le précise un courrier envoyé en début d’année 2016 aux autorités politiques françaises, dont la Présidence de la République et l’Assemblée Nationale, « la présence d’occupants sans droits ni titres, en majorité étrangers sans papiers, n’ayant pas été constatée sous 48 h (délai de flagrance), les forces de police n’ont pas pu intervenir pour faire évacuer le bâtiment. Dès lors, la seule possibilité légale pour la Fédération française de triathlon de récupérer l’accès à son bien, était d’engager une procédure judiciaire. »
Normal. Logique, même. Mais les choses se compliquent. Une première audience s’est tenue le 9 décembre 2013 devant le Tribunal d’Instance de Saint-Denis. Elle a été suivie de plusieurs renvois. La Cour d’Appel de Paris a, dans son arrêt du 20 novembre 2015, déclaré irrecevable la demande d’appel des squatteurs. Une nouvelle comparution est fixée au 4 juillet 2016 devant le Tribunal d’Instance de Saint-Denis. « A ce jour, précise la FFTRI, aucune décision n’a donc été rendue sur le fond et seules les questions de procédure ont permis aux occupants, sans droit ni titre, de bénéficier de locaux occupés par effraction depuis plus de deux ans. » Les squatteurs seraient actuellement une quarantaine. Un groupe assez organisé pour faire appel, dans les situations les plus tendues, aux services d’avocats spécialisés dans les affaires de logement.
Philippe Lescure, le président de la Fédération française de triathlon, l’a expliqué à FrancsJeux: « La situation n’a pas bougé d’un pouce depuis deux années et demie. Et il semble qu’elle ne puisse pas évoluer avant, au mieux, la comparution du 4 juillet prochain. Nous ne menons pas un combat contre les mal logés. Nous sommes une fédération citoyenne, sensible aux questions de logement, de précarité et à la situation des sans-papiers. Nous demandons seulement que cette affaire soit jugée ».
Philippe Lescure évoque un « préjudice moral, humain et financier. » Il montre du doigt l’inertie de l’administration et des pouvoirs publics. Un courrier officiel, détaillant les circonstances et le déroulé de l’affaire, a été adressé aux autorités politiques. A ce jour, il n’a reçu que des réponses de pure forme. Le chef de cabinet de François Hollande a expliqué en avoir pris connaissance avant de le transmettre aux services d’Emmanuelle Cosse, la nouvelle ministre du Logement.
En attendant, la Fédération française de triathlon se sent de plus en plus à l’étroit dans ses locaux. Ses salariés doivent cohabiter à « 4 ou 5 dans des bureaux de 15 m2 », explique Philippe Lescure. Surtout, elle paye tous les mois les remboursements de son emprunt immobilier et les intérêts bancaires, plus la taxe d’habitation et celle sur les bureaux. « Nous ne pouvons pas emménager dans notre futur siège, mais nous ne pouvons pas non plus vendre l’ancien », résume le président. Une double peine.