Paradoxe. Aux Jeux de Rio 2016, le Kenya a décroché du mat de cocagne le très respectable total de 13 médailles olympiques, dont 6 en or. En athlétisme, son terrain de prédilection, sa délégation a pris la 2ème place du classement des nations, seulement devancée par les Etats-Unis. Derrière les titres et les records se cache pourtant un étrange tableau, où se mélangent corruption, désordre et amateurisme.
Un rapport sur la préparation des Jeux de Rio et leur déroulement au sein de la sélection kényane avait été commandé au lendemain des Jeux de Rio par les autorités politiques, après l’arrestation pour vol et détournement de plusieurs dirigeants du comité national olympique (Noc-k). Rédigé par une commission d’enquête, le document de 90 pages a été remis au début de cette semaine au chef de l’Etat, Uhuru Kenyatta. L’agence Associated Press en a eu connaissance. Son contenu laisse perplexe.
Première découverte, tout sauf surprenante: un détournement à grande échelle par les dirigeants du sport kényan d’une partie du budget affecté par le gouvernement et les sponsors à l’événement olympique. Une enveloppe d’environ 5,5 millions d’euros avait été allouée aux Jeux de Rio, dont la plus grande partie devait servir à préparer et équiper les athlètes. Le rapport avance que des sommes colossales ne sont jamais arrivées à destination.
Plusieurs athlètes, dont les champions du monde Asbel Kiprop (1.500 m), Ezequiel Kemboi (3.000 m steeple) et Julius Yego (javelot), n’ont jamais reçu la totalité des primes promises par Nike, l’équipementier officiel de la sélection kényane, en cas de médaille d’or.
Le comité national olympique aurait déboursé environ 900.000 dollars de trop pour l’achat des billets d’avion d’une partie de la délégation se rendant à Rio. Un excès attribué à une agence de voyages missionnée peu de temps avant le début des Jeux.
Dans la même veine, plusieurs dirigeants de haut vol du mouvement olympique se sont largement servis dans le container envoyé par Nike pour habiller et chausser les athlètes. L’un d’eux, Ben Ekumbo, le vice-président du Noc-k, président de la fédération kényane de natation, a été arrêté par la police, la semaine passée, à son domicile. Il était caché sous le lit. Dans son appartement, les policiers ont découvert des piles de boîtes de chaussures Nike. Il est toujours en garde en vue à Nairobi. Aux Jeux de Rio, les marcheurs de l’équipe kényane ont disputé leur compétition avec des chaussures d’emprunt, les nouveaux modèles ayant été détournés par les officiels.
Détaillé dans le rapport remis à Uhuru Kenyatta, la préparation finale de l’équipe olympique laisse également perplexe. Pour l’essentiel, les athlètes ont été contraints de l’effectuer dans un « centre d’entraînement de haute performance », une appellation peu appropriée pour une telle structure, où la piste d’élan du lancer du javelot est trop courte de plusieurs mètres et le gymnase tout juste assez vaste pour accueillir trois personnes en même temps. Précision presque inutile: le centre d’entraînement en question appartient à un dirigeant du comité olympique.
Julius Yego, le champion du monde du lancer du javelot en 2015 (photo ci-dessus), a dû payer de sa poche pour utiliser l’équipement de musculation d’un club de fitness, le matériel du centre officiel d’entraînement étant insuffisant. A son arrivée à l’aéroport de Nairobi, pour rejoindre Rio et les Jeux, le Kényan a découvert que le comité olympique avait oublié de lui réserver une place dans l’avion.
Associated Press détaille également le cas du marathonien Wesley Korir, parti en douce du camp d’entraînement en pleine préparation des Jeux, pour servir de lièvre à son épouse canadienne, Tarah McKay, au marathon d’Ottawa. Aux Jeux de Rio, Wesley Korir a abandonné à la mi-course. Le rapport dévoile également les circonstances d’une rixe entre les joueuses de l’équipe de rugby à 7, à l’aéroport de Rio, à leur retour vers le Kenya. Sur le moment, elles avaient assuré que la bagarre avait éclaté pour une « histoire d’homme ». Après enquête, les joueuses ont révélé qu’il s’agissait en réalité d’un différent sur les primes promises par le gouvernement.
Pagaille et amateurisme, enfin, au département communication. Selon le quotidien Daily Nation, la délégation kényane aux Jeux de Rio n’a pas été capable de relayer l’information auprès des médias internationaux, et même des quelques journalistes du pays accrédités aux JO. En cause, un manque de moyens. Elle comptait un seul attaché de presse. Les Américains en avaient dépêché quatre pour la seule équipe d’athlétisme. Un comité avait été formé au sein du Noc-k, en amont des Jeux, pour travailler à la préparation de l’événement. Il devait se réunir au moins dix fois pour soigner tous les détails. Il n’a pas tenu plus de deux réunions.