L’affaire est grave. Elle rajoute une nouvelle épaisseur de doutes et de suspicion sur un univers, le mouvement olympique, dont l’image manque aujourd’hui cruellement de clarté. Selon une enquête du Monde, le vote pour l’attribution des Jeux de Rio 2016 pourrait avoir été entaché par une, voire plusieurs, manœuvres de corruption. Le quotidien assure que la justice française « dispose d’éléments concrets mettant en cause l’intégrité du processus d’attribution » des Jeux. Pire: « les magistrats soupçonnent des manœuvres destinées à acheter les votes » lors de la désignation.
Les faits, d’abord. Trois jours avant l’attribution par la session du CIO de l’organisation des Jeux d’été de 2016, soit le 29 septembre 2009, une société liée à un richissime homme d’affaires brésilien a versé 1,5 million de dollars au fils de Lamine Diack, alors président de l’IAAF et membre de l’organisation olympique. La société en question, Matlock Capital Group, était domiciliée aux îles Vierges britanniques. Elle gérait les intérêts d’Arthur Cesar de Menezes Soares Filho, un Brésilien aux activités pour le moins opaques, surnommé « Rei Arthur » ou encore, moins noblement, « le roi de la sous-traitance ».
La somme n’est pas allée directement dans les poches de Lamine Diack. Elle a été versée depuis Miami sur le compte de la société Pamodzi Consulting, une entreprise de l’un des fils de Lamine Diack, Papa Massata Diack. Le Monde précise que la justice française aurait également découvert, via des des documents transmis par le fisc américain, un autre virement en provenance de Matlock Capital Group. Il aurait été effectué vers un compte bancaire de Papa Massata Diack, mais cette fois en Russie. Montant: 500.000 dollars.
Précision: le fils de Lamine Diack n’en est pas à ses premières casseroles. Ancien consultant marketing de l’IAAF, il est actuellement visé par un mandat d’arrêt international, émis par Interpol en janvier 2016. Il est soupçonné d’avoir encaissé de l’argent pour couvrir des cas de dopage dans l’athlétisme russe. Papa Massata Diack est aujourd’hui réfugié au Sénégal, son pays d’origine, qui refuse de l’extrader. Quant à son père, Lamine Diack, il se trouve toujours en France, où il est mis en examen pour « corruption passive et active » et « blanchiment aggravé ».
Jusque-là, rien de très inédit. L’image et l’intégrité de Lamine Diack, poussé à la démission de son rôle de membre honoraire du CIO depuis le début des affaires, ne pèsent plus très lourd. Quant à son rejeton, il n’a jamais convaincu grand-monde de ses compétences en marketing et de son honnêteté. Mais les révélations du Monde mettent également en péril un autre membre du CIO, jusque-là au-dessus de tous soupçons, le Namibien Frankie Fredericks.
Détail tout sauf anecdotique: Frankie Fredericks était chargé de surveiller le bon déroulement du vote, à Copenhague en 2009, lors de la session du CIO ayant attribué les Jeux de 2016 à Rio de Janeiro. Un rôle de scrutateur que le Namibien a également joué à Kuala Lumpur, en 2015, lors de l’attribution des Jeux d’hiver de 2022. Pékin l’avait emporté face à Almaty par un écart de 4 voix. Curieusement, le vote électronique n’avait pas fonctionné. Le scrutin avait dû être effectué à la main, à l’ancienne.
Contacté par Le Monde, Mario Andrada, l’ex porte-parole de Rio 2016, assure ne pas croire une seconde à un vote acheté. « L’élection a été claire : 66 voix contre 32 pour Madrid (au dernier tour du scrutin. Une victoire nette. Nous sommes tranquilles à 200% sur le fait que nous n’avons rien fait en dehors des règles. »
Le CIO, de son côté, n’a pas tardé à réagir aux révélations du quotidien français. Mark Adams, le porte-parole de Thomas Bach, s’est fendu d’un communiqué, vendredi 3 mars.
« Le CIO a pris note des graves allégations parues dans le quotidien français Le Monde concernant le vote pour le choix de la ville hôte des Jeux Olympiques de 2016. Le CIO est partie civile dans la procédure en cours engagée par les autorités judiciaires françaises à l’encontre de l’ancien président de l’IAAF, Lamine Diack, et son fils, Papa Massata Diack, consultant de l’IAAF à l’époque des faits. Le CIO reste fermement déterminé à clarifier cette situation et travaille pour ce faire en coopération avec les autorités judiciaires françaises. Comme premier résultat de cette coopération, Lamine Diack, qui était auparavant membre honoraire du CIO, n’occupe plus aucune fonction au sein du CIO depuis novembre 2015. Le CIO reprendra contact avec les autorités judiciaires françaises en vue d’obtenir les informations sur lesquelles semble s’appuyer l’article du journal Le Monde. » Difficile de se montrer plus évasif.
Sur le cas très épineux de Frankie Fredericks, Mark Adams précise: « Il a informé le CIO immédiatement après avoir été contacté par le journaliste, expliqué la situation et souligné son innocence. Le CIO est persuadé que M. Fredericks apportera tous les éléments nécessaires pour prouver son innocence face à ces allégations formulées par le journal Le Monde. D’après M. Fredericks, le versement présumé a été effectué par la société Pamodzi Sports Consulting, dirigée par Papa Massata Diack, en rapport avec la promotion et la création de propriétés sportives pour le programme de marketing de l’IAAF, des événements de l’IAAF et le volet marketing du Programme d’athlétisme africain 2007/2011. M. Fredericks avait un contrat de marketing avec la société Pamodzi Sports Consulting de 2007 à 2011. Lui-même avait fait appel déjà hier à la commission d’éthique de l’IAAF. Immédiatement après qu’un lien a été établi entre ce versement contractuel et le vote pour la ville hôte des Jeux Olympiques de 2016, M. Fredericks lui-même s’est également tourné vers la commission d’éthique du CIO, laquelle examine dès lors toutes les allégations formulées pour faire toute la lumière sur cette affaire. »
Frankie Fredericks a été choisi par le CIO pour présider la commission d’évaluation des Jeux de 2024. Pourra-t-il conserver cette mission? Douteux.