Pourquoi la lutte ? Pourquoi donc avoir choisi de renvoyer de la classe l’un des plus vieux sports olympiques, dont les premières traces remonteraient à l’an 3000 avant Jésus Christ ? Inutile de chercher à sonder l’âme des dirigeants du CIO pour dénicher la réponse. Elle se trouve rédigée, en toutes lettres, dans le communiqué publié à la Une du site Internet officiel de la Fédération Internationale des Luttes Associées (FILA). On peut y lire le texte suivant : « La FILA a appris avec beaucoup de stupéfaction la recommandation émise ce jour par la Commission Exécutive du CIO de ne pas inclure la lutte dans le noyau des 25 sports principaux au programme des Jeux Olympiques de 2020. »
Stupéfaction. La lutte a appris avec « stupéfaction » que son avenir ne serait pas olympique. Elle ne se savait donc pas menacée. Personne, au CIO ou dans l’entourage de l’institution, n’avait prévenu ses dirigeants. La rumeur, depuis des mois, citait toujours les mêmes deux sports : taekwondo et pentathlon moderne. La lutte, jamais. La preuve : ses élus se trouvaient à Bangkok, pour un congrès, au moment où les 15 membres de la commission exécutive du CIO réglaient le sort de leur discipline. Les absents ont eu tort. Il est même tentant de penser qu’ils n’ont eu que ce tort.
A l’inverse, le pentathlon moderne avait fait le voyage en masse. Plusieurs témoins racontent avoir observé Juan Antonio Samaranch Jr, le fils de l’ancien président du CIO, aller de groupe en groupe pour expliquer que son sport (l’Espagnol est vice-président de la Fédération Internationale) ne pouvait pas disparaitre puisqu’il appartient à l’Histoire, ayant été inventé par Pierre de Coubertin en personne. Un Juan Antonio Samaranch Jr. qui a intégré la commission exécutive en 2012, à point nommé pour y défendre son sport, au risque de créer un évident conflit d’intérêt.
Les dirigeants du taekwondo avaient, eux aussi, investi Lausanne pour y faire entendre leurs voix. Comme ceux du pentathlon moderne, ils avaient multiplié les initiatives au cours des derniers mois pour sauver leur peau, allant jusqu’à utiliser les services de Jon Tibbs and Associates, agence spécialisée dans les affaires olympiques. Selon des sources proches du dossier, cinq sports ont été cités lors des deux premiers des sept tours de scrutin de la commission exécutive du CIO, mardi 12 février : lutte, taekwondo, hockey-sur-gazon, canoë et pentathlon moderne. Au dernier tour, décisif, 8 des 14 membres votant (Jacques Rogge n’a pas pris part au vote) ont désigné la lutte, le pentathlon moderne et le taekwondo recueillant 3 voix chacun.
Depuis, la lutte s’organise. Le Bureau de la FILA se réunira à Phuket, en Thaïlande, les 16 et 17 février afin de décider des mesures à prendre. Aux Etats-Unis, plusieurs pétitions ont été postées sur le site Internet de la Maison Blanche, dont l’une appelle à faire pression sur le CIO pour réintégrer la lutte aux Jeux de 2020. Elle a réuni en quelques heures plus de 14 000 signatures. Au Japon, le Comité national olympique s’est dit officiellement opposé à la décision du CIO. En Turquie, le vice-président de la FILA, Ahmet Ayik, juge « impossible » que la lutte puisse disparaitre. « Une commission de 15 personnes ne peut pas décider seule de nous rayer de la carte », suggère-t-il. Au CIO, tout est possible.