— Publié le 21 septembre 2017

Sergueï Bubka, un virement qui fait tache

Institutions Focus

Nouvelle menace de gros temps dans le mouvement sportif international. Avec, cette fois, un acteur au pedigree nettement plus costaud, et surtout médiatique, que les derniers personnages du casting: Sergueï Bubka lui-même, l’homme aux 35 records du monde au saut à la perche. L’Ukrainien a rangé ses gaules depuis un bail, pour embrasser une carrière de dirigeant sportif au long cours. Il cumule aujourd’hui les casquettes sans craindre le trop-plein. Citons, en vrac, un fauteuil de membre de la commission exécutive du CIO, un rôle de vice-président de l’IAAF, un mandat de président du comité olympique ukrainien.

Que lui reproche-t-on? A ce stade, rien. Mais tout peut arriver. L’affaire est révélée par Le Monde. Elle remonte à plus de 8 ans. Selon le quotidien, un versement de 45.000 dollars aurait été effectué par Sergueï Bubka, en date du 18 juin 2009, sur le compte de New Mills Investments, une société offshore domiciliée à Niévès, un paradis fiscal des Antilles.

Détail tout sauf anecdotique: l’ayant-droit en est un certain Valentin Balakhnichev (photo ci-dessous), l’un des moustachus les plus controversés de l’athlétisme international, tristement passé à la postérité pour avoir été suspendu à vie par l’IAAF en janvier 2016. Il était accusé d’avoir caché une ribambelle de cas de dopage, à l’époque où il présidait la Fédération russe d’athlétisme et assurait la tâche de trésorier de l’IAAF.

 

 

Troublante concordance des dates: la veille du dit transfert, un autre virement d’une somme similaire (45.033 dollars et 12 centimes) serait parti du compte de New Mills Investments vers Pamodzi Sports, la société détenue par Papa Massata Diack, le fils de l’ancien président de l’IAAF, le Sénégalais Lamine Diack. Planqué dans son pays natal, Papa Massata Diack est visé par un mandat d’arrêt international dans le cadre de deux affaires. La première touche l’IAAF, la seconde concerne des soupçons de corruption dans l’attribution à Rio de Janeiro des Jeux d’été en 2016.

En résumé, Valentin Balakhnichev a versé 45.000 dollars à Papa Massata Diack, via leurs sociétés respectives, avant de recevoir de Sergueï Bubka une somme d’argent identique. Deux virements d’un même montant, à 24 heures d’intervalle. Suspect. Un doute encore épaissi par le fait qu’ils ont été effectués au moment même où le CIO organisait à Lausanne une réunion avec les équipes de candidature aux Jeux de 2016.

Sergueï Bubka a-t-il joué un rôle dans ce qui pourrait s’avérer l’un des scandales de corruption les plus retentissants de l’histoire du sport? A ce stade, impossible de répondre. Présent à Minsk, où il participe à la première visite de la commission de coordination des Jeux Européens 2019, l’intéressé dément. Logique. Il se défend. Normal. Mieux: il explique et détaille.

Selon son cabinet d’avocats, Simons Muirhead & Burton, l’argent versé à Valentin Balakhnichev devait servir à une cause très noble: le développement de l’athlétisme. Ben oui. Le versement a été fait pour des « services de consultant réalisés par Valentin Balakhnichev ». Une mission destinée à la promotion du Pole Vault Stars, la compétition de saut à la perche lancée par Sergueï Bubka dans sa ville natale de Donetsk, arrêtée en 2014 après l’annexion de la Crimée par la Russie.

Dans un communiqué publié mercredi 20 septembre, les avocats de l’Ukrainien assurent que leur client n’avait aucune connaissance ou implication dans les relations d’affaires entre Valentin Balakhnichev et d’autres parties, dont Papa Massata Diack. Ils affirment également qu’il n’avait pas non plus le moindre lien avec les villes candidates.

Même son de cloche du côté de Valentin Balakhnichev. Cité par le Guardian, le Russe explique que, s’il se « souvient bien », la somme reçue de Sergueï Bubka devait servir à créer un circuit mondial du Pole Vault Stars, avec une étape à Moscou. Un projet resté curieusement très secret, personne n’en ayant entendu parler à l’époque, malgré la largesse de la prestation de « consultant » du dirigeant russe.

L’affaire est désormais dans les mains de la nouvelle « Unité d’intégrité » de l’IAAF, dirigée par l’Australien Brett Clothier. Dans un communiqué, elle a expliqué « être au courant de l’article du Monde et des accusations » sur la personne de Sergueï Bubka. Elle assure vouloir creuser le dossier. Ira-t-elle jusqu’au bout?