Le scrutin s’annonçait serré. Il ne l’a pas été. Réuni jeudi 20 septembre aux Seychelles, le comité exécutif de l’Agence mondiale antidopage a décidé de lever les sanctions contre le sport russe. Son agence nationale antidopage, Rusada, sera bientôt réintégrée. Sous réserve, toutefois, de remplir certaines « conditions » décidées par l’AMA.
Le vote, d’abord. Après la levée de boucliers d’une grande partie du mouvement sportif international au cours des derniers jours (pour être honnête, surtout en Europe et en Amérique du Nord), il était légitime de l’attendre très partagé. Il a pourtant tourné à un quasi plébiscite. Neuf voix en faveur de la levée des sanctions, contre seulement 2 pour leur maintien, plus une abstention.
Les deux opposants ? La Norvégienne Linda Helleland, vice-présidente de l’AMA et candidate à la présidence. Elle l’avait annoncé. Elle a tenu parole. L’autre voix dans le camp du non a été apportée par le Néo-Zélandais Clayton Cosgrove. Quant à l’abstention, elle serait polonaise. Selon le site Insidethegames, le représentant du ministre polonais des Sports et du Tourisme, Witold Bańka, absent de la réunion, se serait abstenu. Détail tout sauf anecdotique : il est, lui aussi, candidat déclaré à la présidence de l’AMA.
Les conditions, maintenant. Elles se veulent « strictes », mais l’AMA n’a pas encore précisé à quelle date butoir la Russie devait s’y soumettre. La Rusada devra autoriser l’AMA à accéder aux échantillons et aux données antidopage provenant du laboratoire de Moscou. Dans le cas contraire, les sanctions seront rétablies et l’agence russe perdra une nouvelle fois son accréditation. Retour à la case départ, donc.
A l’annonce de la décision, Moscou s’est fendue d’une réaction immédiate, mais en se gardant bien de verser dans le triomphalisme. « Nous saluons la décision de l’AMA, a déclaré Olga Golodets, la vice-Premier ministre russe chargée des Sports. La Russie confirme son attachement aux principes d’un sport propre. Ces dernières années, un énorme travail a été effectué en Russie pour créer des conditions transparentes et claires. »
Plus mesuré, le nouveau directeur de la Rusada, Yuri Ganus, a insisté sur les conditions qu’il restait à remplir avant de voir réellement la fin du tunnel. « Nous avons encore beaucoup de travail devant nous, a-t-il suggéré par téléphone à l’agence Reuters. Cette réintégration est seulement conditionnelle. »
Certes. Mais son annonce a déclenché un peu partout dans le monde une avalanche de critiques et un torrent de fureur symptomatiques de la haine d’une partie du mouvement sportif à l’égard de la Russie. Y compris de la part de pays, les Etats-Unis notamment, où les affaires de dopage se ramassent à la pelle.
La skieuse de fond canadienne Beckie Scott, présidente (démissionnaire) de la commission des athlètes de l’AMA, a évoqué « un coup extrêmement dur porté à la crédibilité de l’organisation. » Travis Tygart, le directeur de l’agence américaine antidopage (Usada), a comparé la levée conditionnelle des sanctions envers la Russie à « un choc dévastateur pour les athlètes propres du monde entier. » Le Canadien Jean-Luc Brassard, champion olympique des bosses en 1994, a déclaré: « Maintenant, les criminels ont pris le contrôle du tribunal. »
Dans les faits, la décision du comité exécutif de l’AMA ne modifie pas réellement la donne. Certes, la Russie ne sera bientôt plus assise sur le banc des punis. Elle pourra se porter candidate à l’accueil des événements sportifs internationaux. Ses dirigeants pourront postuler à des fonctions officielles dans les organisations du mouvement sportif.
Mais pour le reste, à savoir l’essentiel, rien n’est fait. L’IAAF l’a annoncé dès jeudi 20 septembre, peu après l’annonce de la décision de l’AMA : elle se réserve le droit de trancher seule le sort de l’athlétisme russe, suspendu depuis novembre 2015. Elle en discutera à l’occasion de la prochaine réunion de son Conseil, les 3 et 4 décembre 2018 à Monaco. Les termes et le ton de son communiqué se veulent clairs : la position de l’AMA n’aura pas d’influence directe sur la sienne.
Même son de cloche au Comité international paralympique. Résolument plus ferme que le CIO dans son approche du problème russe, l’IPC n’entend pas se ranger docilement derrière l’AMA. Son président, le Brésilien Andrew Parsons, souhaite maintenir la feuille de route imposée au comité paralympique russe pour la levée éventuelle de sa suspension. Il lui réclame notamment le paiement d’une amende de 257.500 dollars.
Enfin, la Russie pourrait bien rester exclue encore un moment des compétitions internationales d’haltérophilie. Dans cette discipline, elle partage son purgatoire avec une demi-douzaine d’autres nations, les plus souvent concernées par l’interminable succession de cas positifs. Menacée par le CIO d’une exclusion des Jeux olympiques, la Fédération internationale d’haltérophilie (IWF) se doit de faire preuve de fermeté. Elle pourrait, elle aussi, se ranger derrière la position dure de l’IAAF et de l’IPC.