Pandémie mondiale, guerre en Ukraine, inflation… Depuis plus de deux ans, les grands événements sportifs internationaux (GESI) n’ont pas été épargnés par les crises. Le mouvement olympique les a subies de plein fouet, sans en avoir anticipé la violence et l’impact.
Mauvais alignement des planètes ou phénomène plus durable ? Enseignants et étudiants de la Sports Management School de Paris ont creusé la question. Ils ont interrogé experts et acteurs de l’éco-système sportif français et international. Le résultat : un livre blanc au nom évocateur, « Impact des crises sur l’organisation des grands événements sportifs internationaux. »
David Mignot, le directeur académique de la Sports Management School, a répondu aux questions de FrancsJeux.
FrancsJeux : La crise sanitaire est désormais reléguée au second plan de l’actualité, mais ses effets se font-ils toujours sentir sur l’organisation des grands événements événements sportifs ?
David Mignot : Oui. Chaque événement, quelle que soit sa taille, doit composer avec le COVID. Il n’est pas possible de se passer d’un protocole sanitaire. Et tout porte à penser que nous allons vivre avec. Les organisateurs ne peuvent pas l’ignorer, même si la pandémie n’est plus un sujet aussi médiatique qu’au cours des deux dernières années. Il faut encore s’attendre à des pics d’infection. En France, par exemple, les experts les prévoient pour les mois d’octobre ou novembre. Pour le mouvement sportif comme pour le reste de la société, il faudra vivre avec cette épée de Damoclès.
L’année 2022 est-elle toujours marquée par les effets de la crise sanitaire ?
Le calendrier reste chamboulé. Certains événements ont été annulés, d’autres sont reportés, mais ils ne pourront pas l’être indéfiniment. Il n’est pas exclu que plusieurs compétitions qui ont déjà été décalées dans le temps à plusieurs reprises disparaissent du calendrier. La position de la Chine, où tous les événements prévus en 2022 ont été annulés ou reportés en dehors des Jeux d’hiver de Pékin, porte un coup sérieux au mouvement sportif international. Elle en est l’un des poumons. En fermant ses frontières, elle bouleverse le calendrier international. La suite s’annonce incertaine et difficile, avec le risque de voir certaines marques revoir leur stratégie de partenariat et hésiter à s’engager comme elles le faisaient dans le passé.
Autre crise, politique celle-là, la guerre en Ukraine. Peut-elle entraîner un bouleversement dans le mouvement sportif international et dans ses événements ?
On l’a vu avec la dernière finale de la Ligue des Champions au Stade de France : les sanctions prises contre la Russie ont des effets multiples, avec l’annulation des événements prévus dans le pays et leur délocalisation parfois précipitée dans d’autres nations. La Russie était déjà mise à l’écart, notamment aux Jeux olympiques, pour des raisons de dopage. La guerre en Ukraine amplifie le phénomène. Ses conséquences ne se font pas seulement sentir sur le calendrier. L’impact sur les athlètes est considérable. Il vont peut-être devoir partir de Russie pour continuer leur carrière. Dans le même temps, son invasion par l’armée russe est en train d’anéantir le sport ukrainien, ses athlètes, ses compétitions et sa pratique. Sans la Russie et l’Ukraine, le paysage sportif international n’est plus tout à fait le même.
Votre livre blanc passe en revue les crises qui affectent le mouvement sportif et ses grands événements. Pourtant, les plus grands rendez-vous du calendrier mondial restent toujours aussi convoités…
C’est vrai. Les grands événements attirent toujours autant les pays candidats. Mais organiser les Jeux olympiques ou une Coupe du Monde de football permet au pays-hôte de bénéficier d’un focus médiatique largement à la hauteur de l’investissement. Pour 3 ou 4 milliards de dollars, la communication est planétaire et dure plusieurs années. Par ailleurs, ces événements majeurs restent de formidables accélérateurs dans un pays, en terme de transport et d’urbanisme, de pratique sportive, de détection et de préparation des athlètes. Les GESI peuvent transformer un pays ou une ville à une échelle et une vitesse difficiles à atteindre par ailleurs.
Les prochaines éditions des Jeux – Paris 2024, Milan-Cortina 2026, Los Angeles 2028 et Brisbane 2032 – révèlent un choix manifeste du CIO pour les valeurs sûres, au détriment d’une ouverture vers des nations émergeantes. Est-ce une tendance inéluctable ?
Malgré l’Agenda 2020 et ses prolongements, les Jeux coûtent encore très cher. Face aux risques, économiques comme politiques, le CIO préfère jouer la sécurité et la stabilité. Aller ailleurs, dans des pays neufs sur la carte olympique, revient à s’exposer à des difficultés. Le CIO n’y tient pas. Il préfère travailler sur l’héritage et sur un rajeunissement des disciplines et du public, plutôt que prendre des risques sur les pays-hôtes. A moins d’une diminution spectaculaire du budget des Jeux, je ne vois pas cette tendance s’inverser dans les années à venir.
Quelle pourrait-être la prochaine crise, la plus grande menace sur le mouvement sportif et ses grands événements ?
Difficile d’anticiper, mais elle pourrait bien concerner les athlètes. Les athlètes et leur santé. Ils veulent aller toujours plus loin dans la performance. Le public attend d’eux des exploits et des records. Il en redemande. Dans le même temps, les marques se livrent à une bataille technologique pour l’amélioration des performances. La dernière illustration est venue des Jeux de Tokyo, avec les chaussures à semelles en carbone. Avec les progrès de la médecine, de la technologie et l’intelligence artificielle, le phénomène risque de s’amplifier. Mais il ne faudrait pas en oublier la dimension humaine des athlètes et de leurs disciplines.