Candidatures

Pour Salt Lake City 2030, un soutien qui divise

— Publié le 8 juin 2022

Le doute n’est plus permis : Salt Lake City est en campagne. A fond. A l’américaine. La candidature de l’Utah pour les Jeux d’hiver n’a pas encore officiellement fait son choix entre deux éditions du rendez-vous olympique et paralympique. Elle hésite toujours entre 2030 et 2034. Mais les porteurs du projet occupent le terrain médiatique.

En tout début de semaine, ils ont annoncé avoir embarqué Lindsey Vonn dans l’aventure. La championne olympique de descente aux Jeux de Vancouver en 2010 accompagnera la délégation de Salt Lake City la semaine prochaine (15 et 16 juin) à Lausanne, en visite au CIO. Un joli coup.

Mercredi 8 juin, les Américains ont tiré une autre cartouche. Une bombe. Ils ont révélé avoir convaincu la Chinoise Eileen Gu, double médaillée d’or en ski acrobatique aux Jeux d’hiver de Pékin 2022, de les rejoindre à son tour. Très fort. Mais aussi très glissant.

L’annonce est venue de la skieuse elle-même. Eileen Gu a confié à Time avoir accepté un rôle d’ambassadrice de la candidature américaine. Tom Kelly, le porte-parole de Salt Lake City 2030, a ensuite confirmé l’information, mais en modifiant légèrement le propos de la jeune femme. Selon sa version, la Chinoise née en Californie se glissera dans le costume de représentante des athlètes. « Elle travaille avec nous, a-t-il expliqué à Associated Press. Mais nous n’avons pas encore choisi son titre exact« .

A la vérité, peu importe. En recrutant Eileen Gu, Salt Lake City a épinglé l’une des héroïnes des derniers Jeux d’hiver, dont l’image et l’impact commercial dépassent très largement le cadre de sa discipline. Les Américains envoient aussi un message : leur candidature est lancée à fond. Pour 2030 ou 2034, la question sera tranchée plus tard.

Avec Lindsey Vonn et Eileen Gu, Salt Lake City se distingue. La candidature américaine jette aux orties les nouvelles règles de conduite dictées aux postulants par le CIO : sobriété, dialogue, discrétion. Ils ressortent du placard les armes des campagnes passées, où les équipes de candidature rivalisaient de grands noms et d’effets d’annonce.

Pour le magazine Time, le premier à rapporter l’information, la présence de la skieuse chinoise aux côtés de l’équipe américaine peut être interprétée comme « un bel exemple de mondialisation. » Un bel exemple, aussi, de la façon dont le sport peut « connecter les peuples« , a suggéré Eileen Gu mardi 7 juin à New York. Un coup publicitaire, également.

Jamais en retard d’un belle formule, la jeune femme s’en est donnée à coeur joie. « Salt Lake veut devenir une destination internationale pour que les athlètes du monde entier viennent s’y entraîner, a-t-elle expliqué. Ils veulent intégrer 15 nouveaux pays aux Jeux olympiques d’hiver. Je pense qu’il s’agit d’un projet vraiment magnifique, dont je suis honorée de faire partie. »

Cool. Mais aussi très risqué, pour Eileen Gu comme pour la candidature américaine.

Née aux États-Unis d’une mère chinoise, la jeune skieuse de 18 ans navigue depuis plusieurs années entre les deux pays. Mais la question de sa citoyenneté n’a pas vraiment été tranchée. La Chine n’autorisant pas officiellement la double nationalité, Eileen Gu a toujours opposé des réponses très vagues aux questions sur son passeport. Chinois ? Américain ? Mystère.

Seul certitude : elle a grandi aux Etats-Unis, mais représente sportivement la Chine depuis 2019. Elle passe plusieurs mois par an en Chine, dont elle parle parfaitement la langue, mais devrait intégrer à la rentrée prochaine la très sélective université californienne de Stanford.

Sans surprise, l’annonce de son soutien à Salt Lake City 2030 a divisé les internautes chinois. « Elle mange à tous les râteliers« , a commenté l’un d’eux sur le réseau social Weibo. « A son retour en Chine, il faut l’arrêter et l’exécuter pour trahison!« ,  s’est emporté un autre. « Gagner de l’argent en Chine et profiter de la belle vie aux Etats-Unis. Bien joué Eileen ! », a posté un troisième. « Elle aime les deux pays. Qui êtes-vous pour lui faire des leçons de morale et lui demander de choisir ?« , a écrit un autre internautes chinois en réaction aux commentaires hostiles.

Rien de nouveau sur la Toile. Aux Jeux d’hiver de Pékin 2022, ses deux victoires avaient déjà provoqué une même polémique. La jeune femme a appris à vivre avec. Elle semble même s’en nourrir pour occuper l’espace médiatique.

Pour la candidature américaine, la carte Eileen Gu n’est pas non plus sans danger. Personne n’a oublié que les Etats-Unis ont initié le boycott diplomatique des Jeux de Pékin 2022, rejoints ensuite par une poignée d’autres pays, dont la Grande-Bretagne et l’Australie. Et la Chine compte aujourd’hui parmi les derniers alliés de la Russie, bannie du mouvement sportif international depuis le début de l’invasion de l’Ukraine.

Mais en sortant coup sur coup de leurs poches Lindsey Vonn et Eileen Gu, les Américains de Salt Lake City se relancent dans la course aux Jeux d’hiver 2030. Ils font surtout comprendre à leurs rivaux, Sapporo, Vancouver et Pyrénées- Barcelone, qu’ils n’y vont pas seulement pour préparer la suite.