Gianni Infantino le sait : les chiffres ont souvent un effet très apaisant dans le monde du football. Surtout exprimés en milliards de dollars. Le président de la FIFA les a sortis de sa poche dimanche 20 novembre, au premier jour du Mondial de football 2022 au Qatar, avec des manières d’oncle d’Amérique.
Près de trois millions de tickets ont été vendus pour le tournoi mondial, un chiffre qui pourrait encore augmenter d’ici la fin de la compétition dimanche 18 décembre.
Par ailleurs, tous les lots de marketing associés à la Coupe du Monde 2022 ont trouvé preneurs. La « dream team » rassemblée pour ce premier Mondial post-COVID compte sept partenaires FIFA, sept sponsors officiels et « un ensemble de supporteurs régionaux dans les cinq régions commerciales de la FIFA : Europe, Asie-Pacifique, Moyen-Orient et Afrique du Nord, Amérique du Nord, et Amérique du Sud. »
Au total, la Coupe du Monde devrait rapporter à la FIFA la somme record de 7,5 milliards de dollars d’ici la fin de l’année, un résultat supérieur d’un milliard à l’estimation initiale. Des « chiffres fantastiques« , s’est réjoui Gianni Infantino devant les représentants des fédérations nationales. Ses électeurs, en somme.
Mais dans un sport où l’accumulation de zéros dans un résultat d’exploitation n’impressionne plus grand monde, le discours comptable de Gianni Infantino n’a pas occulté l’autre sujet du jour, dimanche 20 novembre : la question du brassard inclusif envisagé pour les capitaines des équipes européennes au Mondial.
Une réunion d’urgence a été convoquée dans un hôtel de luxe de Doha entre la FIFA et les sept fédérations concernées. L’instance espérait les pousser à renoncer à leur projet d’un brassard non autorisé, « One Love », frappé d’un logo multicolore en forme de coeur. Elle a échoué.
L’instance mondiale avait pourtant soigneusement préparé son affaire, en proposant une alternative supposée acceptable, un ensemble de brassards portant des messages de durabilité, humanitaires ou de protection de l’enfance : « SaveThePlanet », « ProtectChildren » et « ShareTheMeal » pour les rencontres du tour préliminaire, puis un plus offensif « NoDiscrimination » à partir des quarts de finale.
Bel effort. Mais les trois pays appelés à débuter la compétition ce lundi 21 novembre – Angleterre, Pays de Galles et Pays-Bas – ont fait de la résistance.
Harry Kane (photo ci-dessus), le capitaine de l’Angleterre, opposée à l’Iran dans le groupe B, l’a expliqué dimanche soir en conférence de presse : « Je pense que nous avons clairement fait savoir que nous voulons le porter« .
Robert Page, le sélectionneur du Pays de Pays de Galles, qui doit affronter les Etats-Unis dans le même groupe, a assuré de son côté devant les médias que son équipe adopterait la même position que l’Angleterre.
Virgil van Dijk, le capitaine des Pays-Bas, appelés à débuter leur tournoi face au Sénégal dans le groupe A, a annoncé lui aussi sa volonté de disputer la rencontre avec le brassard « One Love ». « Je porterai le brassard « One Love », a-t-il assuré. De notre point de vue, rien n’a changé. Mais si j’écopais d’un carton jaune pour l’avoir porté, alors nous devrions en discuter car je n’aime pas jouer en ayant déjà un carton jaune. »
L’Allemagne, notamment, s’était déclarée prête à un bras de fer avec la FIFA. Le président de la fédération, Bernd Neuendorf, a expliqué à la chaîne de télévision ZDF : « Nous resterons sur la position européenne. La FIFA a proposé sa propre idée de brassard il y a seulement deux jours. Pour nous, cela n’est pas acceptable. »
La veille, le capitaine de la sélection allemande, Manuel Neuer, avait déjà promis en conférence de presse qu’il porterait le brassard « One Love » contre le Japon, mercredi 23 novembre. Quant à Bernd Neuendorf, il a annoncé la semaine passée que sa fédération ne soutiendrait pas Gianni Infantino pour sa réélection à la présidence de la FIFA, en mars prochain, estimant que le dirigeant italo-suisse s’était montré beaucoup trop frileux sur la question des droits humains au Qatar.
En vertu des règlements du Mondial, le capitaine de chaque équipe doit « porter le brassard fourni par la FIFA« . Toute infraction est passible d’une sanction. Elle pourrait être seulement financière, avec une amende de 10.000 francs suisses à toute équipe ayant enfreint la règle. Trois fois rien.
Mais la menace de sanctionner les capitaines européens d’un carton jaune, dès le début du tournoi, a finalement eu raison des envies de militantisme des sept sélections européennes.
En début d’après-midi en heure locale, ce lundi 21 novembre, l’Angleterre, le Pays de Galles, la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse ont annoncé via un communiqué commun que leur capitaine ne porterait pas le brassard inclusif.
« La FIFA a été très claire, elle imposera des sanctions sportives si nos capitaines portent les brassards sur le terrain, ont-elles écrit. En tant que fédérations nationales, nous ne pouvons pas demander à nos joueurs de risquer des sanctions sportives, y compris des cartons jaunes, ont écrit ces sept fédérations. Nous étions prêts à payer des amendes applicables en cas de non respect des règles sur les équipements et étions très engagés autour de ce brassard. Mais nous ne pouvons pas mettre nos joueurs dans la situation où il pourraient être avertis, voire devoir quitter le terrain« .
La campagne « One Love » a été lancée aux Pays-Bas, l’an passé, avec la bénédiction de l’UEFA. En septembre dernier, dix équipes européennes ont annoncé que leurs capitaines porteraient le brassard lors des prochains matchs en Europe, dont huit sélections qualifiées pour le Mondial 2022. Depuis, l’équipe de France s’est désolidarisée du mouvement, justifiant son retrait par une volonté de respecter le Qatar.